Et si vous achetiez un bout de “All I Want for Christmas Is You” ?

La musique, ce nouvel actif financier
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Vous pourriez bientôt avoir encore plus de plaisir à écouter “All I Want for Christmas Is You”. Comme beaucoup d’autres titres, la chanson de Mariah Carey est susceptible d’atterrir sur une “marketplace” de la musique, et de devenir un peu à vous. La musique devient un actif financier, accessible aux fonds et aux particuliers. Mais cet investissement est-il sonnant ou trébuchant ?

Quand on parle d’investissement, on pense souvent actions, obligations, immobilier ou matières premières. Et si je vous disais que la musique que vous écoutez tous les jours, si elle est choisie intelligemment, peut offrir de meilleurs rendements annuels que certains placements traditionnels ?

Chaque jour, nous consommons de la musique sans même y penser : à la radio, dans les supermarchés, les bars, les clubs, les films et même les ascenseurs. Derrière chaque écoute, des redevances sont générées (ou royalties). Ces revenus reviennent aux auteurs, compositeurs, producteurs… c’est-à-dire à toute personne détenant des droits.

Le cycle de Mariah

Prenez une chanson comme All I Want for Christmas Is You de Mariah Carey. Sortie en 1994, elle rapporte entre 2 et 3 millions de dollars chaque année (Billboard), simplement grâce à son retour annuel dans les playlists de Noël et dans les films. Ce titre seul est une machine à cash récurrente, presque indépendante des cycles économiques.

Si vous l’avez entendue lors d’un repas de famille, même sans vous en rendre compte, vous avez contribué à cette grande cagnotte, qui est ensuite divisée en proportion des parts aux ayants droit.

Car dans ce monde, si une chose tourne rond, c’est bien cette chanson. Pour ceux qui en détiennent les droits, c’est une source de revenus stable et prévisible, presque à l’abri des aléas du marché.

C’est ainsi que les investisseurs et institutionnels se sont penchés sur le rachat de ces droits aux artistes ou aux labels, dans un objectif de rendement, ou de diversification de leur portefeuille.

Des « Bowie Bonds » à Justin Bieber

Cette idée n’est pas nouvelle. En 1997, le chanteur David Bowie a été le premier artiste à transformer sa musique en produit financier. Concrètement, il a emprunté de l’argent auprès d’investisseurs, en leur promettant de les rembourser grâce aux revenus futurs générés par ses chansons. Ces titres, surnommés les « Bowie Bonds », fonctionnaient comme des obligations : les investisseurs lui ont prêté 55 millions de dollars et, en échange, ont touché une partie des royalties issues de ses albums pendant plusieurs années.


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Depuis, le mouvement s’est accéléré. Des fonds comme Hipgnosis, Primary Wave ou KKR ont investi plusieurs milliards de dollars dans les catalogues de grands artistes tels que Bob Dylan, Bruce Springsteen, Queen, Shakira ou Michael Jackson. D’autres acteurs plus récents, comme Alternative Partners AG ou ICM Crescendo Fund, se sont également positionnés sur ce marché, avec des montants plus ciblés, dans le but d’offrir à leurs clients des rendements attractifs faiblement corrélés aux marchés boursiers.

Le chanteur Justin Bieber a, par exemple, vendu en 2023 l’intégralité de son catalogue musical au fonds Hipgnosis Songs Capital pour un montant estimé à environ 200 millions de dollars. Katy Perry, elle, a cédé les droits de 5 albums (entre 2008 et 2020) pour environ 225 millions de dollars à Litmus Music.

La finance de l’instinct et l’instinct de la finance

Pour un investisseur, évaluer la valeur d’un catalogue musical n’a rien à voir avec l’analyse d’une action ou d’une entreprise classique. Acheter des droits musicaux, un actif dit « alternatif », ne consiste pas seulement à lire un bilan ou à calculer un taux de croissance. C’est aussi miser sur des goûts, des émotions et des tendances culturelles passagères, parfois sur plusieurs décennies. Là où la finance traditionnelle s’appuie sur des chiffres stables et des modèles mathématiques, investir dans la musique exige une compréhension fine du public et de l’évolution des goûts. C’est un domaine où l’analyse financière rencontre la sensibilité artistique. L’objectif des fonds d’investissement est simple en apparence : acheter au bon prix pour générer un rendement attractif. Mais dans la pratique, l’exercice est bien plus complexe.

Les gestionnaires de fonds s’appuient à la fois sur des données objectives (nombre d’écoutes sur les plateformes, revenus générés, diffusion dans les publicités ou répartition géographique des écoutes) et sur des éléments plus subjectifs, comme la carrière de l’artiste, la tendance musicale du moment ou l’impact des nouvelles technologies sur la consommation. Ce mélange de data et d’instinct rend chaque décision d’investissement unique.

À cela s’ajoutent des risques macroéconomiques : la nécessité d’investir lorsque les taux d’intérêt sont bas, la vigilance face aux fluctuations des taux de change (afin d’éviter d’acquérir un catalogue libellé en euros lorsque la monnaie s’affaiblit), la diversification du portefeuille de catalogues pour répartir les risques entre différents genres, artistes et marchés, ainsi que des risques technologiques liés à la forte dépendance de l’écoute des utilisateurs aux plateformes de streaming.

Un héritage chantant

En bref, un tas de paramètres font de l’investissement dans les catalogues musicaux un calcul complexe, mais potentiellement très rentable pour les investisseurs les plus avertis.

Cependant, cette classe d’actifs n’est pas réservée aux fonds : elle est également accessible aux particuliers en quête de nouvelles opportunités. Plusieurs plateformes permettent d’explorer en ligne les catalogues que des ayants droit souhaitent céder. Royalty Exchange demeure une référence du secteur, facilitant la mise en relation entre vendeurs et investisseurs, et offrant une grande diversité de genres, du hip-hop à la musique électronique, en passant par la country ou les bandes originales de films.

Un exemple de catalogue vendu en 2024 :

SongVest constitue une autre marketplace appréciée des investisseurs, car elle permet d’acheter de petites fractions de droits musicaux. À l’inverse, Royalty Exchange propose généralement l’acquisition d’un catalogue entier via un système d’enchères. Voici une sélection des offres actuellement disponibles sur Songvest:

D’autres marketplaces existent en Europe, ANote Music et Bolero en tête. ANote Music permet d’investir dans des catalogues déjà établis via un système d’enchères ou sur un marché secondaire. Bolero, de son côté, démocratise encore davantage l’investissement en proposant d’acheter des fractions de droits dès quelques euros.

Comme tout investissement, placer son argent dans la musique comporte des risques et il est important de bien étudier les catalogues et leur potentiel avant de se lancer.

Cependant, même si cette classe d’actifs alternatifs semble plus risquée, la musique s’inscrit dans le temps : vous connaissez sans doute davantage de chansons que d’entreprises qui ont traversé les générations ! C’est le compositeur Edward Elgar qui l’a dit : « La musique a le pouvoir de transcender le temps et de laisser un héritage durable. » Vous avez maintenant l’opportunité de le faire fructifier.

Nos auteurs

Chercheurs, professeurs, experts… retrouvez ceux qui donnent vie à nos contenus.

Mina Vuletic

2 articles

Etudiante à SKEMA Business School, au sein du MSc International Human Resources & Performance Management

Thibault Gillon

2 articles

Étudiant du Programme Grande École (PGE) et du MSc Corporate Financial Management, SKEMA Business School. 

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