Benoist Lombard : « On ne conseille pas de la même façon un héritier et un self-made man »

La gestion de patrimoine par le directeur général adjoint du groupe Crystal
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La gestion de patrimoine n’est pas une affaire de chiffres, mais d’hommes. C’est l’un des messages de Benoist Lombard, directeur général adjoint du groupe Crystal et président de Maison Laplace. L’exercer, c’est saisir la société dans toute sa complexité. Pour pouvoir s’adapter à toutes ses mutations.

Ce contexte de crise globale (géopolitique, climatique, technologique…) dans lequel nous baignons remet-il en question la définition de la gestion de patrimoine ?

Depuis les années 1990, je n’ai connu que des crises : les chocs obligataires de 1994, les crises asiatiques de 1997, l’explosion de la bulle internet en 1999-2000, la crise financière de 2008, celle des dettes souveraines de 2010, le Covid, etc.

La gestion des crises fait ainsi partie intégrante des activités d’un conseil en gestion de patrimoine. Leurs impacts doivent être intégrés dans la définition des objectifs. Dès l’instant où l’on définit un horizon de gestion, on définit l’appétence au risque, c’est-à-dire le niveau de risque global qu’une personne est disposée à assumer dans la poursuite de ses objectifs. On définit un cadre évolutif dans un environnement économique mouvant. Et la première des erreurs est souvent de changer de cadre en cours de route.

L’univers financier ou l’univers immobilier ne peuvent pas être considérés à l’échelle de la temporalité d’une crise. Ça n’a pas de sens. Il faut pouvoir continuer de se projeter au-delà de l’événement temporel. Et définir avec le client les jalons de ses objectifs. Si on ne formalise pas ces objectifs, on n’arrivera pas à délivrer le conseil approprié.

Délivrer le conseil approprié, c’est aussi s’adapter à chaque client…

Absolument, un gestionnaire de patrimoine avisé est une sorte de médecin de famille. Il faut parfaitement connaître la problématique et l’environnement familial, culturel, social de chaque client. On ne conseille pas de la même façon un héritier et un self-made-man qui a bâti un empire. Il faut faire preuve de beaucoup d’empathie et d’écoute. L’aspect psychologique est indispensable pour bien cerner les besoins de la personne.

Une de vos spécialités chez Laplace est le « family office » avec une entité dédiée, Maison Laplace. Quelles sont ses spécificités ?

La clientèle de Maison Laplace dispose de ressources financières conséquentes, sa sociologie a changé ces dernières années. Dans mon enfance, en Bretagne, les plus belles maisons étaient détenues par les médecins, les avocats, les pharmaciens, les dentistes… Aujourd’hui, elles appartiennent à des chefs d’entreprise. Mais le plus grand changement est générationnel : les enfants de ces gens fortunés quel que soit leur niveau académique ont besoin d’être formés à la gouvernance de leur patrimoine. Naturellement, les membres de cette Next Gen ne disposent pas des mêmes bases. A l’occasion d’une réunion des 800 cousins d’une grande famille française, les aînés se sont aperçus qu’une minorité importante d’entre eux ne disposait pas du bagage nécessaire à la compréhension des enjeux attachés à leur situation. Nous avons donc créé une Family Office Academy à leur attention afin de les éduquer au b. a.-ba de nos activités : nous allons les former aux problématiques juridiques et fiscales française et internationale, à la gestion financière, mais aussi aux responsabilités sociétales que leur situation leur confère, à la problématique de la vulnérabilité, etc. Ces jeunes, demain, seront des moteurs de l’économie.

En parlant de personnes vulnérables, elles constituent déjà une part non négligeable de votre clientèle et la santé mentale a été décrétée Grande Cause nationale 2025, en France. Avez-vous aussi mis en place une ingénierie particulière pour accompagner cette clientèle ?

Oui, nous y consacrons tout un département et le groupe Laplace est engagé auprès de la fondation Falret qui vient en aide aux personnes en souffrance psychique. Elles sont de plus en plus nombreuses. Cela concerne des personnes atteintes plus ou moins gravement par ces maladies. Il s’agit aussi bien de schizophrénie ou de bipolarité que de phénomènes de burn-out, d’épuisement professionnel. Mieux les conseiller passe par une double éducation.

D’abord, celle de nos conseillers. Ils sont formés pour mieux considérer leurs besoins et encadrer cette vulnérabilité. Je prends l’exemple des « mandats de protection future » : ils ne sont pas assez mis en avant, alors qu’ils permettent de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes amenées à vous représenter le jour où vous n’aurez plus la capacité de gérer vos intérêts.

Mais cela passe aussi par sensibiliser les juges à la gestion de patrimoine, pour veiller à ce que ces personnes préservent un patrimoine destiné à couvrir leurs besoins sur le long terme. On parle ici, évidemment, de personnes qui disposent de capitaux suffisants pour générer un complément de revenu. Et ce complément de revenu ne repose pas uniquement sur l’achat d’un fonds en euros, d’une SICAV monétaire ou d’une SCPI. La diversification est importante, même si elle s’opère avec un niveau de risque inférieur à celui d’un investisseur ayant un horizon de 10 ans et un profil de risque 4 ou 5. On est clairement dans une approche plus prudente. Cela nous permet aussi d’expliquer à un juge que, si je gère un patrimoine de 100 et que j’ai besoin de 2 de revenu, alors, en trouvant un placement à 3 ou 4 %, il y a une partie du capital que je ne consommerai jamais. Et la question devient : est-ce que cette partie du patrimoine, cette poche à long terme, ne pourrait pas être investie ailleurs que dans un simple fonds garanti ?

Vous arrive-t-il de tirer la sonnette d’alarme quand vous réalisez qu’un client de longue date devient vulnérable ?

Oui, mais c’est au cas par cas. D’où l’importance de bien connaître l’environnement familial. C’est délicat parce qu’on n’a pas le droit de parler de la façon dont une personne majeure et responsable dépense son argent. J’ai eu l’exemple d’un client dont on s’est aperçu qu’il était dépendant de drogues. Cela peut passer par des rapports informels avec le reste de la famille. « Il n’avait pas l’air en forme – ah, tu trouves aussi ? » Nous pouvons les conseiller, les orienter vers des centres spécialisés, mais la règle reste que chaque personne fait ce qu’elle veut de son patrimoine.

L’allongement de la durée de vie risque de vous confronter de plus en plus fréquemment au problème…

C’est pourquoi notre rôle est de nous projeter sur le long terme avec nos clients, et de préparer leur retraite. Il m’est arrivé d’alerter des clients en leur disant : « Attention, si vous continuez à ce rythme-là, vous n’aurez plus rien à 72 ans, tandis que votre espérance de vie, elle, est de 86 ans. » Pour compenser, il faut souvent faire des arbitrages. Chaque situation est unique.

A l’heure de l’Intelligence artificielle (IA), le gestionnaire de patrimoine peut-il rester ce « médecin de famille » dont vous parliez ?

Oui, c’est essentiel. L’IA ne doit pas servir à pallier les carences d’un conseiller ou à le suppléer, elle doit faire de nous des conseillers augmentés. Elle peut être très utile dans certains domaines, la partie juridico-fiscale par exemple, mais elle n’est d’aucun secours dans bien d’autres. Interrogez ChatGPT, Mistral ou CoPilot, pour déterminer quelle allocation d’actifs faire pour un client qui veut une gestion dynamique de ses affaires, vous risquez d’être déçu : en ces domaines l’IA n’est pas pour l’heure dans l’anticipation prospective qui ne consiste pas uniquement à prédire, mais aussi à explorer et à imaginer. Et l’IA, malgré sa puissance, reste tributaire des données disponibles, du cadre imposé par l’humain et de la complexité du réel. On a besoin d’intelligence humaine.

Nos auteurs

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Rhita Bekkali

2 articles

Alumni SKEMA, MS Manager Marketing Data et Commerce Electronique

Céline Renucci

2 articles

Directrice du programme Master of Science Corporate Financial Management, SKEMA Business School

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