Comment l’Occident sape sa propre influence

Chaque mois, Frédéric Munier, le directeur de l’École de géopolitique de SKEMA Business School publie une chronique dans le magazine Pour l’Éco. Il pointe aujourd’hui un piège tendu aux démocraties libérales, de plus en plus minoritaires. Quand elles pratiquent le « deux poids, deux mesures » dans leurs interventions extérieures, elles sapent le socle de leur crédibilité.
Dans son dernier ouvrage intitulé Le Triomphe des émotions, Dominique Moïsi souligne l’importance de la colère, du ressentiment, mais aussi de la peur dans les relations interétatiques. Les représentations du monde au prisme de ces sentiments extrêmes donnent lieu à des narratifs si contradictoires qu’ils justifient partialité et aveuglement chez chaque partie prenante et donnent lieu de part et d’autre à des accusations de « deux poids, deux mesures ».
La guerre actuelle à Gaza en témoigne à l’envi : tandis que les Israéliens sont prompts à dénoncer une minimisation des attaques sanglantes perpétrées par le Hamas le 7 octobre dernier, les pays arabes dénoncent le refus américain de condamner les terribles représailles israéliennes dans la bande de Gaza et, plus généralement, le soutien occidental à la colonisation israélienne en Cisjordanie. Chaque camp s’accuse de crimes contre l’humanité, minimisant les douleurs de l’autre et ruinant tout espoir de paix durable dans la région.
L’Occident du “en même temps”
La pratique du « double standard » comme forme d’indignation sélective n’est évidemment pas chose nouvelle. Le vrai changement est ailleurs ; il consiste dans le fait que les préférences occidentales ne sont aujourd’hui plus tolérées par un nombre grandissant de pays du Sud. Ces derniers, par le biais de votes ou d’abstentions à l’ONU, font désormais entendre leur voix sur un mode bien différent de celui des capitales du Nord. Bien entendu, certains de ces pays pratiquent également le « deux poids, deux mesures » en refusant de condamner la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine ou encore en baissant les yeux face aux crimes de Bachar el Assad ou au traitement des Ouïghours… Mais la Chine et la Russie ont-elles jamais prétendu gouverner au nom de valeurs universalistes et généreuses ?
La situation est plus grave pour les démocraties occidentales : en foulant aux pieds les principes humanistes et libéraux qui sont censés les constituer, elles s’affaiblissent elles-mêmes. Les pays européens l’ont appris à leurs dépens lorsque les nations colonisées leur ont retourné le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes afin de réclamer leur indépendance. Les États-Unis en font les frais aujourd’hui : leur intervention illégale en Irak en 2003, leur soutien jusque-là inconditionnel à Israël leur vaut des condamnations unanimes de la part de pays qui sont certes loin d’être des modèles démocratiques mais qui comptent aujourd’hui. Le risque est grand que les démocraties occidentales souffrent du double-standard qu’elles ont longtemps pratiqué. En ont-elles le luxe ? Rien n’est moins sûr. Rappelons que seule 13% de la population mondiale vit actuellement dans une démocratie contre 72% dans des pays illibéraux et que la part des démocraties dans le PIB mondial est passé de 56% en 1992 à 39% en 2022 !
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