La question
19/06/2025
L’identité est-elle une icône ou un yaourt ?
C’est la question que vous n’aviez pas prévu de vous poser, mais dont vous pourriez reprendre une cuillère. Comme quoi, voyager ça nourrit.
D’ici, on peut voir un panneau lumineux qui tourne et se transforme, qui passe de « From » à « Form ». D’ici, on peut surtout entrevoir tout Sofia, la capitale de la Bulgarie, et ses multiples identités. Son héritage byzantin, du bas de l’église Saint-Georges en briques rouges, son épisode ottoman, de la pointe du minaret de la mosquée Banya Bashi, sa cathédrale Saint-Alexandre-Nevski construite en l’honneur de ceux qui ont libéré le pays, son demi-siècle de communisme du haut du dôme de l’ancien immeuble du parti, sa transition post-soviétique à travers le building inachevé (« scandale de corruption », nous dit-on) qui ne masque pas complètement les montagnes, et finalement la réconciliation de toutes ces époques sur le « rooftop » qui nous sert de point de vue.


Sous nos pieds, un duplex ultra-moderne, quelques étages d’art contemporain qui exprime la vitalité créative des artistes et un restaurant qui « réinvente » la cuisine bulgare traditionnelle en se confrontant aux tendances de la haute gastronomie. Tout ici pose la question de l’identité ou plutôt des multiples identités politiques ou culturelles façonnées au fil de l’histoire réinterrogeant leur permanence, soulignant leurs mouvements et leur exubérance, à commencer par la façade du Komat : « Nous avons voulu conserver une apparence sobre, de type industriel, en fer rouillé, pour ne pas dénoter avec les autres logements du quartier, explique notre hôte. Nous sommes dans le quartier le plus cosmopolite de la ville, vous savez ? »
Donner un pot au yaourt
D’où cette question : faut-il concevoir les identités comme des icônes – sacrées, permanentes et figées – ou comme cet autre symbole de la Bulgarie, le fameux yaourt, issu d’une fermentation, et donc d’une transformation ? La transformation, c’était justement la question au cœur du premier « Get Together » du Global Executive MBA (GEMBA) de SKEMA Business School. Du 7 au 12 mai, il a réuni à Sofia 35 alumni et étudiants d’une vingtaine de nationalités et d’autant de cultures différentes. Rassemblés sous le lustre doré et le plafonnier boisé du Vivacom Art hall, ils se sont rencontrés, découverts, retrouvés à travers deux jours d’ateliers. Tous en quête de leur propre identité, pour cheminer sur le plan professionnel et personnel. Cette identité se révèle au contact direct de celle des autres, par un langage commun construit tout au long de leur parcours, et s’exprime par leur Unique Social Contribution (USC), c’est-à-dire de ce qui les qualifie fondamentalement pour agir socialement. Cette réunion au cœur de la capitale bulgare a permis de faire émerger de nouvelles potentialités dans la rencontre de ces identités vivaces et toujours en devenir.
Le faire à Sofia, c’est aller dans le sens du philosophe Charles Taylor pour qui l’identité moderne est inscrite dans l’histoire. Pour qui elle repose, plus qu’on ne l’imagine, sur des idéaux et interdits – des icônes – hérités des grands courants de pensée qui influencent notre manière de voir le monde. Le défi de la modernité est alors de tisser son propre récit de sa propre identité – de se laisser fermenter – pour réconcilier deux aspirations profondes : notre appartenance à une communauté humaine ; et la reconnaissance de notre singularité et de l’irréductible dignité de la personne. Inscrire l’une dans l’autre, c’est une forme de cet « engagement au plus près du monde » réclamé par le sociologue Zygmunt Bauman pour « se révolter » contre « la société liquide ». Contre cette société où les relations, les identités, les carrières et les engagements deviennent fragiles et éphémères, à l’image d’un liquide – ou d’un yaourt – qui ne garde jamais une forme fixe.
Découvrir son identité, c’est donner un sens minimal à sa vie à travers une mise en récit de soi, c’est donner un pot au yaourt et se permettre d’exprimer sa liberté à l’intérieur d’un cadre, de cultiver son intériorité. Les identités ne sont ni des icônes ni des yaourts, elles sont les deux. Elles sont une matière vivante dont il faut se saisir pour éviter d’être saisi par elle. C’est ce à quoi est invité chaque participant du GEMBA. C’est ce à quoi je vous invite aujourd’hui.
Cette question des identités résonne en nous, et dans tous les domaines de l’époque. Elle se pose au citoyen qui se demande comment les préserver dans une société multiculturelle, elle se pose aux consommateurs que les marques remettent toujours plus entre les mains d’avatars virtuels, elle se pose même au récent vainqueur – français ou qatari ? – de la Ligue des Champions, le Paris Saint-Germain, qui se cherche une raison d’être entre « marque de mode » et club de foot.
Que la (re)découverte de ces contenus vous inspirent dans la quête de ce qui vous rend unique.
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