On vous l’a trop dit : il ne faut pas faire confiance aux inconnus. Mais cela compte-t-il s’ils sont virtuels ? De plus en plus de marques font le choix d’influenceurs virtuels pour incarner leurs valeurs. Ils ont l’avantage de ne pas faire de caprice, mais posent un véritable problème éthique. A travers eux, les marques prennent un ascendant inédit sur leur communauté…
Ils sont déjà parmi nous. Les influenceurs virtuels occupent une place croissante dans le marketing d’influence. Avec leur nature programmable et leur absence de besoins réels, ces entités numériques conçues pour interagir avec les consommateurs, peuvent incarner des valeurs totalement biaisées par les marques, qui ont un contrôle sans précédent sur les images et les messages diffusés. Cette évolution soulève des questions éthiques majeures, notamment en matière de manipulation cognitive et de responsabilité sociale.
Les influenceurs dont les marques ont toujours rêvé
Les influenceurs classiques, dont regorgent les réseaux sociaux, sont toujours un pari pour les marques. Si elles les recrutent et les briefent sur leurs attentes, ils sont là pour ajouter leur patte à un sujet et gardent ainsi, vis-à-vis de la marque et de ses produits, une marge de liberté. Les influenceurs virtuels sont beaucoup moins susceptibles : ils permettent aux entreprises de créer des ambassadeurs sur-mesure, parfaitement alignés avec leur identité de marque. Grâce à l’intelligence artificielle (IA) et aux algorithmes, ils peuvent être adaptés à leurs valeurs, aux préférences de leur marché spécifique et aux codes culturels de leur audience cible.
Leur disponibilité illimitée les rend actifs sans interruption sur Instagram, Tik Tok ou X. Mieux : ils sont doués d’ubiquité et peuvent apparaître simultanément dans plusieurs campagnes sans contrainte logistique. Une flexibilité inédite.
Leur fiabilité est totale. Avec eux pas de scandale. Ils ne font que les vagues que vous leur demandez de faire. Cette absence de spontanéité a un coût : elle peut aussi être perçue comme un manque d’authenticité par certains consommateurs.
Influenceurs virtuels, émotions réelles ?
Ce choix garantit toutefois une exclusivité et une disponibilité qui coûteraient cher autrement. Grâce à l’IA générative les agences peuvent créer des contenus en quelques heures, sans la moindre séance de tournage. Même si le développement initial est coûteux, la réduction des coûts à long terme est importante.
Le défi pour les marques est toutefois de créer un personnage crédible et engageant, qui garantira leur succès auprès de leur public. Sans storytelling fort, un influenceur virtuel peut vite passer inaperçu. Sans compter qu’en l’absence d’émotions réelles et d’expériences authentiques, les influenceurs virtuels peinent à établir une connexion sincère avec leur audience, suscitant parfois de la méfiance.
Parmi les marques qui ont adopté des stratégies 100% avatarisées, le constructeur automobile Renault a lancé Liv, son ambassadrice virtuelle, pour promouvoir son véhicule électrique. Son lancement a été un échec en raison d’un manque d’attrait visuel et de l’absence de sens à sa raison d’être ou son histoire. A l’inverse, KFC a modernisé son emblématique Colonel Sanders en une version virtuelle, diffusant des messages cohérents et engageants sur les réseaux sociaux.
Les influenceurs virtuels peuvent être conçus pour s’adapter aux attentes culturelles et esthétiques de différentes populations. Par exemple, Imma, une influenceuse virtuelle japonaise, reflète l’esthétique et les codes de la mode tokyoïte, ce qui attire un public asiatique. Elle a en outre, des « intérêts plus profonds, comme les traditions japonaises traditionnelles, (qu’elle) aime reprendre et partager avec le monde, même si elles ne sont pas à la mode ».
De même, Lil Miquela d’apparence métisse, a été créée pour promouvoir des valeurs d’inclusivité et a longtemps entretenu le mystère sur sa nature virtuelle. Mais peut-on réellement parler de diversité lorsque l’identité est simulée ?
Shudu Gram, quant à elle, est une mannequin virtuelle qui représente la beauté africaine et a collaboré avec des marques prestigieuses comme Fenty Beauty. Sa création a toutefois été durement critiquée dans la mesure où, pour certains, elle nuirait à l’image des véritables mannequins noires et empêcherait leur embauche.
Avec l’essor des influenceurs virtuels, capables de représenter diverses cultures, valeurs et tendances socio-économiques, l’ethno-marketing prend une nouvelle dimension, notamment parce que ces avatars brouillent les frontières identitaires. Ils permettent aux marques de cibler des segments précis en créant des personnages qui incarnent des valeurs spécifiques : respect des traditions, modernité, inclusion, etc.Maissont-ils dignes de confiance alors que leur image est stratégiquement dictée par des marques pour favoriser une image positive ?
Leur capacité à influencer inconsciemment les comportements, notamment par des techniques de neuromarketing avancées, interroge sur les risques de manipulation, en particulier auprès des publics les plus vulnérables. Si ces influenceurs numériques représentent une avancée stratégique pour les marques, leur avenir repose sur un équilibre entre innovation et éthique, afin de préserver la confiance du public et l’intégrité du marketing digital. Une meilleure information des consommateurs et des règles claires sur la publicité et l’usage des influenceurs virtuels deviennent impératives pour encadrer ce phénomène.
Humains-Avatars : label équipe ?
Le marketing d’influence évolue vers une approche hybride, combinant influenceurs humains et avatars numériques. Cette tendance, adoptée par plusieurs grandes marques, vise à maximiser l’impact des campagnes en ciblant divers segments de consommateurs tout en intégrant une dimension innovante.
Pour élargir la portée de sa campagne, Balmain a illustré cette approche, dès 2018, en intégrant trois mannequins virtuels – Shudu, Margot et Zhi – à sa « Balmain Army » également composée de mannequins humains. L’année d’après, Calvin Klein a mis en scène l’influenceuse virtuelle Lil Miquela aux côtés du mannequin Bella Hadid. Mais cette initiative, destinée à remettre en question les normes traditionnelles, a suscité des réactions contrastées, poussant la marque à présenter des excuses publiques.
L’exercice n’est donc pas sans risque, mais les marques ont bien compris qu’il y avait plusieurs avantages à adopter une stratégie hybride :
- Les influenceurs humains apportent une authenticité et une connexion émotionnelle forte, tandis que les avatars virtuels incarnent une vision technologique et futuriste.
- L’association des deux types d’influenceurs permet d’adapter les messages en fonction des publics ciblés.
- Les influenceurs humains et virtuels, chacun à la tête de leur communauté, peuvent se compléter et se recommander mutuellement, ce qui favorise une visibilité et un engagement accrus.
L’essor des influenceurs virtuels marque une évolution majeure du marketing digital en offrant des stratégies d’ethno-marketing plus ciblées et immersives. Toutefois, leur impact sur la perception des consommateurs et les implications éthiques qu’ils soulèvent appellent à une réflexion approfondie. L’enjeu pour les marques est d’intégrer ces outils numériques de manière transparente et équilibrée afin de maintenir une relation de confiance avec leur audience.
Aux frontières du réel
Bien que certains consommateurs apprécient l’innovation et l’esthétique des influenceurs virtuels, d’autres peuvent percevoir un manque d’authenticité, affectant l’engagement. Les marques doivent donc évaluer attentivement leur audience avant d’adopter une stratégie entièrement virtualisée. En consolidant leur stratégie avec un cadre éthique clair, elles pourraient faire des influenceurs virtuels un levier marketing puissant, tout en évitant les écueils liés à l’hyper-réalité et à la manipulation cognitive.
Il est peu probable que les influenceurs virtuels remplacent totalement les humains, mais ils modifient en profondeur les stratégies de communication des marques. En adoptant une approche hybride elles peuvent maximiser leur impact tout en gardant une dimension authentique.
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