Simon Chadwick : « Le PSG est une marque de mode, c’est bien autre chose que du football »

Simon Chadwick : « Le PSG est une marque de mode, c’est bien autre chose que du football »
PSG's new store in New York's fifth avenue.

Le PSG est-il encore un club de football ? Pour Simon Chadwick, professeur d’économie géopolitique du sport à SKEMA Business School, il est avant tout une marque de mode. C’est ainsi que le Qatar espère faire un retour sur investissement. Au désespoir de ses plus anciens supporters mais pour le plus grand bonheur des stars de la chanson new-yorkaises.

Vous avez dit dans une interview récente que le PSG n’a jamais été destiné à être un club de football pour ses propriétaires qataris : qu’est-ce que le PSG est censé être pour eux ?

Simon Chadwick : Investir aujourd’hui dans un club de football professionnel d’élite n’est pas une affaire de philanthropie ou d’altruisme. Des sociétés comme QSI (Qatar Sports Investments) investissent dans des clubs comme le PSG pour obtenir un retour sur investissement. En clair, on dépense un million pour en récupérer deux, sinon à quoi bon ?

Le défi consiste donc à savoir comment y parvenir, ce qui peut se faire de différentes manières. Il est évident que le football ne suffit pas à lui seul à générer des revenus, d’où sa convergence avec les technologies numériques, le divertissement, la mode et le lifestyle, qui deviennent des moteurs importants des activités commerciales des clubs. Il suffit de voir comment une plateforme de streaming contribue à transformer le club gallois de Wrexham, propriété de Ryan Reynolds, ou à quel point la gamme de maillots Kappa du Venezia FC a pris de l’importance. C’est dans ce cadre que le PSG est aujourd’hui dirigé, bien que le club dispose d’un atout que d’autres n’ont pas : Paris lui-même.

En tant que capitale mondiale du style, puissamment symbolisée par la Tour Eiffel, le PSG et son insigne représentent quelque chose d’identifiable et de vendable. Pensez à l’emblématique casquette de baseball des New York Yankees – que les gens achètent même s’ils ne sont pas fans de baseball -, cela donne une indication de ce que le PSG essaie de réaliser. Le club est une marque de lifestyle, pas seulement un club de football, qui évoque toutes sortes d’associations positives dans l’esprit des consommateurs (et pas seulement des supporters) du monde entier.

De nombreux supporters français du PSG sont frustrés chaque année par le nouveau maillot domicile de leur club, qui est censé être le modèle classique dessiné par Daniel Hechter. Le PSG est peut-être le seul grand club européen à ne jamais avoir le même maillot domicile chaque année. Le maillot historique du club a pourtant été créé par un grand couturier ! Ces changements constants sont-ils intimement liés au projet qatari ?

Que les fans de football du monde entier le veuillent ou non, une gamme de nouveaux maillots de leur équipe sera inévitablement produite chaque année. Ces articles se caractérisent par une demande inélastique, ce qui signifie que les gens les achètent quoi qu’il arrive – parce que c’est important en tant que supporter et pour affirmer son identité personnelle. Les recettes provenant de la vente de maillots sont devenues une part importante des recettes annuelles des clubs, ce qui les oblige à créer chaque année de nouveaux modèles suffisamment différents de ceux de l’année précédente. À cet égard, il n’y a rien d’unique, de spécial ou de différent dans ce que fait le PSG.

Il faut garder à l’esprit que l’évolution constante du design et l’innovation sont également un moyen de relever les défis posés par les contrefacteurs, qui sapent régulièrement les sources de revenus des clubs. Mais il s’agit aussi de la façon dont le PSG se voit : ce n’est pas seulement un club de football qui vend des maillots à de fervents supporters, c’est une marque de mode et lifestyle qui cherche à cibler d’autres segments de marché que ceux qui aiment regarder les matchs. Grâce à ses diverses collaborations dans le domaine de la mode et à ses activités de vente au détail, la marque cherche à être élégante et dans l’air du temps, ça dépasse largement le cadre du football. Les dirigeants du club ont cherché à cultiver une marque aspirationnelle et chic qui la positionne aux côtés de Balenciaga, par exemple, et la rend très attractive. Il suffit de lire un magazine de mode comme Hypebeast pour comprendre que le PSG, c’est bien autre chose que du football.

Quelles sont les principales valeurs/symboles du PSG en tant que marque de mode streetwear ?

En raison de ce qui s’est passé au cours des douze dernières années, les lettres « PSG » sont aujourd’hui porteuses d’un certain prestige et d’une certaine signification – il y a des valeurs, des succès et des célébrités associés à la marque. La Tour Eiffel est un raccourci qui permet aux publics du monde entier de savoir que le club est synonyme de mode, de style, de design d’avant-garde. Tout cela est perpétué par des personnalités comme Jay-Z, que l’on voit au Parc des Princes avec son bomber du PSG, et par des rappeurs comme Niska et Dave, qui mettent le club en valeur dans leurs vidéos.

Pour certains groupes de consommateurs, le « PSG » est un symbole du 21e siècle – il n’est pas seulement l’incarnation de la réussite et de l’argent, le PSG c’est aussi être beau et porter des vêtements à la pointe, très différents des articles de football habituels, notamment en termes de design et de lieux de vente. Le PSG, c’est les Champs-Élysées, la Cinquième Avenue de New York et Oxford Street de Londres, où le club possède des boutiques. L’image de marque est tournée vers la différence, le statut et le prestige, vers des publics cibles qui se trouvent souvent en dehors de la France.

Le Qatar est-il au PSG pour toujours ? Et peut-on imaginer qu’il relocalise le PSG dans son propre championnat pour concurrencer celui de l’Arabie saoudite ou est-ce que cela irait à l’encontre du PSG-marque de mode ?

Il faudrait plutôt se demander si le Qatar se voit pour toujours… à Paris. Le pouvoir de Paris est à la base de l’investissement de QSI dans le club, et il est difficile d’imaginer le « pouvoir de Doha » ou le « pouvoir d’Al-Wakra » le détrôner de sitôt. La marque Paris a une valeur éternelle sur laquelle les propriétaires qataris capitalisent en détenant le PSG. Le Qatar est tout petit, pas plus de trois cent mille Qataris au total, le pays n’offre ni le même volume de marché ni les opportunités de marque évocatrices qu’offrent Paris, la France et leurs liens avec le monde arabe et le monde en général. Il n’est pas cependant pas impossible qu’un réseau de franchises du PSG soit mis en place à l’avenir. Mais en tant que marque, il y a trop de valeurs à Paris pour qu’un autre endroit puisse rapidement transcender ce que la ville offre en termes de marketing. Nous pourrions peut-être assister à la création d’une filiale à Los Angeles ou d’une franchise à Tokyo, mais Paris restera la star du spectacle.

Qui pourrait acheter le PSG à l’avenir ? Un autre État ? Une autre marque de mode ? Nike ?

Pour l’heure, rien n’indique que les propriétaires actuels du PSG soient sur le point de se défaire de leur actif. Au contraire, il est probable que les propriétaires fassent transpirer leur bien, en le faisant travailler davantage pour générer les flux de revenus durables auxquels ils aspirent. La marque sera développée et étendue, ce qui constituera un défi intéressant pour les dirigeants du club : maintenir la crédibilité et le prestige tout en développant l’omniprésence et l’omnipotence. Il est possible que des participations minoritaires dans le club soient vendues – peut-être à un partenaire actuel et proche tel que Nike ou bien encore à une société de médias telle que Disney – mais le Qatar n’envisage pas une cession totale.

Simon Chadwick

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Kevin ErkeletyanResponsable éditorial chez SKEMA Business School

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