Face aux progressions populistes, le risque de la désunion européenne

Chaque mois, Frédéric Munier, le directeur de l’École de géopolitique de SKEMA Business School, publie une chronique dans le magazine Pour l’Éco. Au cœur de l’été, il s’est interrogé sur la solidité de l’Union européenne (UE). Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’UE s’est ressoudée face à la menace russe. Mais l’union de l’Europe est-elle durable ? À voir la progression populiste, il y a danger…
Père de l’Europe, Jean Monnet avait déclaré : « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Force est de constater que l’histoire lui a donné raison. L’échec de la CED (Communauté Européenne de Défense) en 1954 a été surmonté par la création de la CEE (Communauté Économique Européenne) en 1957. La crise du système monétaire international des années 1970 a conduit à la création du SME (Système Monétaire Européen), puis de l’euro. En 2005, l’échec du traité constitutionnel a accouché d’un « mini-traité », celui de Lisbonne (2007), qui, pourtant, préside désormais aux destinées de l’UE…
Populisme centrifuge
En 2020, l’Europe était en pleine turbulence sous l’effet conjugué des crises, de la dette souveraine, des migrants et du Brexit. Mais la pandémie puis la guerre en Ukraine ont obligé les pays européens à resserrer les rangs et coordonner leurs politiques. Conséquence inouïe du Covid-19, en 2021, pour la première fois de son histoire, l’UE a émis de la dette commune dans le cadre de son plan « NextGenerationEU ». La crise du Covid a en quelque sorte raccommodé l’Europe du Nord et l’Europe du Sud.
A lire aussi : La guerre d’Ukraine, accélérateur de la construction européenne ?
Symétriquement, la guerre d’Ukraine a rapproché l’Europe occidentale de l’Europe orientale autour de projets communs : le plan « RePowerEU » accompagne la fin des importations de gaz russe en consacrant l’idée d’un budget commun. Au registre militaire et stratégique, la guerre a provoqué un réarmement européen donnant corps à la volonté d’Ursula von der Leyen de faire de l’UE une « Europe-puissance ». L’adage de Jean Monnet semble se vérifier une fois encore. Pour autant, n’est-il pas précipité de se réjouir de la consolidation de l’Union européenne ? En effet, l’union actuelle tient largement des circonstances et d’un consensus de crise. Si l’on considère la carte politique de l’Europe, cette dernière a chaviré en quelques années : partout prospèrent des gouvernements populistes et illibéraux : l’extrême-droite est au pouvoir en Italie, en Hongrie et en Pologne. Elle participe à des coalitions en Lettonie, en Grèce, en Finlande. Or, les agendas de ces différents gouvernements constituent autant de forces centrifuges pour l’Europe. L’Ukraine en constitue le meilleur exemple. A mesure que le conflit dure, l’union sacrée qui a prévalu jusque-là s’effrite : face aux pays Baltes et à la Pologne qui font figure de jusqu’au-boutistes, la Hongrie et la Tchéquie seraient prêtes à abandonner Kiev à son sort tandis que l’Europe occidentale cherche une sortie de crise acceptable. Sur le fond, les gouvernements populistes sont hostiles, sinon à la construction, du moins à son caractère fédéral et à ses valeurs, notamment la défense des droits de l’homme et des minorités et la question environnementale. Cette vague de fond menace la cohésion de l’Union européenne et pourrait, si l’on n’y prend garde, engendrer une « désunion européenne. »