Don’t look up : le ciel est plein de débris spatiaux

Nettoyer cette décharge en plein ciel devient urgent
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Nous sommes des poussières d’étoiles… au milieu de débris spatiaux. La prochaine fois que vous scruterez le ciel par un doux ciel d’été, vous y penserez : entre la Grande Ourse et vous s’étend une gigantesque décharge. Des milliers – peut-être même des millions – de fragments orbitent autour de la Terre. Dans l’espace, le danger est partout. Trouver un moyen de nettoyer ce chaos devient urgent. Et ce ne sont pourtant pas les moyens technologiques qui manquent…

En 2009, bien au-dessus de nos têtes, un vieux vaisseau spatial russe est entré en collision avec un satellite de communication américain. Plus qu’un simple accident, un signal d’alarme cosmique. L’impact a pulvérisé les deux engins et projeté plus de 2 000 fragments, qui orbitent autour de la Terre tels des mini-missiles et transforment l’espace en véritable champ de mines. Ces projectiles artificiels ont un nom : les fameux « débris spatiaux ».

Cap sur 2025 : l’espace n’est plus exclusivement le domaine des astronautes et des télescopes. C’est un secteur économique. De Starlink (SpaceX) à Project Kuiper (Amazon), des milliers de satellites sont lancés pour fournir un accès Internet partout dans le monde, soutenir la défense nationale, analyser le changement climatique, etc. Mais si l’innovation a atteint des sommets, elle a aussi entraîné des effets pervers : nous polluons l’orbite terrestre, sans qu’aucun « gendarme » ni réglementation ne vienne réguler ce trafic.

Un ciel sans loi

À ce jour, nous avons répertorié plus de 29 000 objets de plus de 10 cm en orbite. Restes de satellites, fragments de fusées, éclats métalliques issus de collisions : un seul de ces éclats lancés à près de 28 000 km/h suffit à mettre un satellite hors service. Et ce danger est encore plus imprévisible lorsque des débris échappent au suivi.

Pourquoi ne pas prendre un « balai » et nettoyer le ciel ? Parce que l’obstacle n’est pas technique, mais juridique. Certaines directives sur les débris spatiaux ont pourtant vu le jour. Les Nations unies (ONU), et certaines organisations comme l’UNOOSA ou l’IADC publient des recommandations visant à concevoir des engins spatiaux plus sûrs ou à assurer le nettoyage après les missions. Mais la plupart de ces règles sont facultatives. En clair, pays et entreprises peuvent choisir de les appliquer… ou non.

Dans mes recherches les plus récentes, j’ai passé au crible les données de 2015 à 2024 : elles concernent le nombre de débris spatiaux, les lancements de satellites et les évolutions réglementaires. Trois constats s’imposent :

  • Les programmes commerciaux, qui représentent désormais plus de la moitié des lancements mondiaux, sont soumis à bien moins de contraintes que les programmes publics.
  • De grands pics de débris continuent d’apparaître après des événements comme l’essai anti-satellite COSMOS 1408 (en 2021) qui a, à lui seul, produit plus de 1 500 fragments – preuve qu’un seul incident peut réduire à néant des années d’efforts.
  • Là où des lois contraignantes existent, comme la Space Policy Directive-3 adoptée aux États-Unis en 2018 ou la loi du CNES en France (2008), la progression des débris a nettement ralenti.

Sans véritables mécanismes de contrôle, l’espace reste l’exemple type de la « tragédie des biens communs » : une ressource partagée, exploitée sans vergogne, que personne ne protège.

L’espace, une terre d’économie circulaire

Rien de nouveau sous le soleil. Dans la plupart des régions, les émissions liées au secteur de l’énergie n’ont reculé qu’après l’imposition de règles strictes et de mesures financières incitatives, qui ont placé la durabilité au cœur des priorités. Tarification du carbone, subventions publiques à l’innovation, certifications vertes : autant d’outils qui ont permis d’apporter un vrai changement.

L’industrie spatiale pourrait-elle suivre le même chemin ? C’est à la fois possible et indispensable. À la lumière de mes recherches, je recommande vivement d’adopter les principes de l’économie circulaire comme voie concrète vers la mise en place d’opérations spatiales durables :

  • Accorder des incitations fiscales ou des réductions sur les lancements aux organisations et entreprises respectant les normes de durabilité.
  • Concevoir des satellites réutilisables, démontables ou recyclables.
  • Rendre obligatoire, par la loi, le retrait actif des débris (Active Debris Removal, ADR) pour les opérateurs de satellites.
  • Et surtout, créer une autorité mondiale de gestion du trafic spatial (Space Traffic Management, STM), sorte de contrôle aérien orbital, pour prévenir les collisions et coordonner les opérations.

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Des gouvernements comme des entreprises privées testent déjà des technologies de nettoyage. La mission CleanSpace-1 de l’Agence spatiale européenne (ESA), prévue pour 2026, sera la première à désorbiter un débris à l’aide d’un vaisseau doté d’une pince à quatre bras. De son côté, Astroscale a déjà démontré ses capacités de capture via un système d’amarrage magnétique, tandis que la JAXA, l’agence d’exploration aérospatiale japonaise, met à l’essai des câbles électrodynamiques pour acheminer les satellites hors d’usage vers la rentrée atmosphérique.

En matière de nettoyage de l’espace, ces innovations montrent que des outils existent ou sont en cours de déploiement. Désormais, le véritable défi consiste à les généraliser et à instaurer une pression réglementaire afin qu’ils deviennent la norme, et non un choix.

Le syndrome de Kessler, stade ultime de la gravité

Certains hausseront les épaules : pourquoi s’inquiéter, puisque l’espace est sans limites ? Mais les « quartiers » orbitaux saturés, en particulier l’orbite basse (LEO), où se concentre l’essentiel des satellites commerciaux, ne resteront pas praticables indéfiniment. Toute collision projette des débris, qui provoquent d’autres collisions. Très vite, l’environnement devient si dangereux que même un lancement devient risqué. Les scientifiques parlent du syndrome de Kessler : et une fois enclenché, il est presque impossible à endiguer.

Popularisé en 2013 dans le film Gravity, ce scénario montre comment la destruction d’un satellite peut entraîner une série de collisions dévastatrices, emportant stations et autres engins spatiaux sur son passage. S’il s’agit d’une fiction, la menace décrite est quant à elle aussi réaliste que crédible.

Nous dépendons déjà des satellites pour les prévisions météorologiques, le GPS, les appels internationaux ou encore les transactions financières. L’espace n’est plus un milieu isolé : il est intimement lié à notre quotidien.

Quand l’homme bute sur lui-même

Lorsque j’ai entamé cette recherche début 2024, l’espace incarnait à mes yeux l’apogée du potentiel humain : vaste, innovant et fondamentalement collaboratif. Mes conclusions pourtant ont révélé un cadre réglementaire de plus en plus en décalage avec le rythme effréné de l’activité commerciale qui s’y déroule.

Si des solutions technologiques ont déjà été mises en place pour limiter les débris orbitaux et garantir la durabilité des opérations spatiales, l’engagement politique et les cadres de gouvernance internationale restent insuffisants.

Sans action rapide, le risque d’une collision majeure en orbite n’a rien d’hypothétique. Un tel événement pourrait déclencher une réaction en chaîne – le fameux syndrome de Kessler dont nous parlions – qui freinerait lourdement l’exploration spatiale et mettrait en péril des infrastructures essentielles à la vie moderne sur Terre.

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