Qui a peur d’investir en Afrique ?

On dit l’Afrique risquée. Pourtant, les statistiques le montrent : investir en Afrique n’est pas plus périlleux que le faire dans d’autres régions qui ont meilleure réputation. Sa diaspora l’a bien compris et commence à réinvestir ce territoire… qu’elle comprend bien.
« Le risque en Afrique n’est pas différent de celui de n’importe quelle autre région du monde. » C’est par ces mots que le président de la Banque africaine de Développement (BAD) Akinwumi Adesina a tenu à tordre le cou à certains indicateurs, lors du Sommet mondial des gouvernements 2025. Un an avant, l’Afrique subsaharienne était en effet classée « région la plus risquée au monde » pour les investisseurs par Verisk Analytics, organisme de référence américain pour la gestion des risques.
Depuis que la question du private equity (capital-investissement) – c’est-à-dire du financement d’entreprises par d’autres entreprises non cotées en bourse spécialisées dans l’investissement -, en Afrique subsaharienne est traitée sérieusement par la littérature académique, le principe de « vide institutionnel » revient constamment. Popularisée en 2010 par le professeur Garry Bruton, cette notion définit des zones caractérisées par des systèmes juridiques fragiles, une instabilité politique marquée et l’étroitesse de leurs marchés financiers.
Le risque du stéréotype
Ce principe sert de base à un certain nombre d’études, y compris celles d’agences de conseil de premier plan, comme celle du cabinet SBM Intelligence.
Selon la base de données de l’universitaire Aswath Damodaran (NYU Stern), la prime de risque exigée par les investisseurs pour l’Afrique subsaharienne tourne d’ailleurs autour des 6% quand elle n’est que de 2% environ dans des régions plus instables.
Moody’s Analytics, mandaté en 2024 par la BAD, a mesuré le taux de perte moyen des investissements en Afrique subsaharienne au cours des 14 dernières années. Il n’est que de 1,7%, alors qu’il atteint 13% en Amérique latine et 10% en Europe de l’Est.
A la recherche du chaînon manquant
Trois dynamiques transformatrices sont en effet à l’œuvre dans la région. Toutes s’inscrivent dans un contexte : l’importance des PME, moteur de l’économie subsaharienne. Elles représentent environ 50% du PIB et 80% des emplois. Pourtant, leur accès au financement est extrêmement limité. Leur besoin en capitaux est estimé à plus de 400 milliards de dollars quand l’offre actuelle atteint à peine 17% de ce montant (70 milliards de dollars).
Gouvernements africains, fonds souverains, family offices et investisseurs institutionnels se positionnent petit à petit, et combinent leurs efforts. Ce changement de paradigme s’articule autour de trois transformations majeures : l’essor des fonds panafricains ; la montée en puissance du capital local ; et le retour de la diaspora.
C’est peut-être le signe le plus visible de la transformation en cours : l’explosion du nombre de fonds panafricains. En 1990, on en comptait seulement une poignée, avec moins d’un milliard de dollars sous gestion. En 2024, ce nombre est passé à 500, pour un total de près de 65 milliards de dollars d’actifs.
Cette croissance est le reflet d’un mouvement de fond, et contredit la perception d’une région en sommeil, paralysée par le risque. L’Afrique subsaharienne se structure, se développe, et propose un écosystème d’investissement local complet.
Diaspora, retour aux ressources
En parallèle du déploiement de fonds d’investissement dans la région, un autre phénomène démographique et financier nourrit discrètement, mais fondamentalement, l’industrie du private equity en Afrique subsaharienne : la diaspora. En 2024, les transferts de fonds de la diaspora ouest-africaine ont atteint 55 milliards de dollars, une hausse de près de 4% par rapport à 2023. Ce pool d’argent, pour l’instant utilisé majoritairement à des fins alimentaire et familiale, représente un potentiel immense pour alimenter les PME, et donc indirectement les dynamiques d’investissement locales.
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Au-delà d’une réalité financière, il est aussi question de compétences humaines et de réseaux d’affaires. Beaucoup de professionnels formés en occident choisissent désormais de revenir investir, et travaille même depuis l’Afrique subsaharienne. Ils apportent non seulement de la structure et des standards de gouvernance, mais aussi et surtout une crédibilité auprès des partenaires internationaux, qui repose sur leur fine compréhension culturelle de la région.
Ce double apport financier et humain marque l’émergence d’une dynamique d’investissement très différente, mieux alignée sur les opportunités locales et les réalités de développement de la région.
Réinvestir l’Afrique
Historiquement, le private equity africain a été défini depuis l’extérieur. Il était question d’attirer les capitaux extérieurs, et de « dé-risquer » des marchés jugés fragiles. Toujours présente, cette logique est en train de perdre de l’influence. Les Africains reprennent la main. À travers leurs capitaux et leurs talents, pour redéfinir l’investissement en Afrique subsaharienne.
Une structure d’investissement plus durable, conçue pour s’aligner sur les réalités locales, et non pour copier des schémas importés. Un modèle où l’horizon de temps est plus long, où la patience stratégique compte autant que la rentabilité immédiate, et où la compréhension culturelle devient un atout compétitif.
Au-delà d’une promesse de rendement et de développement économique, c’est l’espoir d’une réécriture et d’une forme de réappropriation, qui pourrait bien, à terme, changer le regard de la finance mondiale sur le continent.


