Oracle, un leadership efficace peut en cacher un autre

Safra Catz n’est plus directrice générale d’Oracle. Le géant du cloud, qui enchaîne pourtant les bons résultats, a choisi de nommer un duo dont le style de leadership s’annonce très différent de celui de leur prédécesseur. Une habitude pour le groupe qui semble en faire l’une des clés de son succès. Un cas d’étude éloquent pour comprendre à quoi tient vraiment la réussite d’un leader ?
C’est un tournant décisif dans l’histoire d’Oracle. Après plus de dix ans à la tête du groupe, Safra Catz a quitté ses fonctions de directrice générale pour devenir vice-présidente exécutive. Son départ referme un chapitre majeur de l’évolution de l’entreprise – marqué par la rigueur de l’exécution, par une transformation stratégique profonde et une gouvernance ferme. Elle est remplacée par deux co-directeurs généraux, Clay Magouyrk et Mike Sicilia, chargés de guider l’une des entreprises logicielles les plus influentes du monde vers sa prochaine étape.
Le parcours de Catz chez Oracle illustre de manière exemplaire ce que signifie diriger. Après une carrière réussie dans la banque d’investissement, elle rejoint Oracle en 1999 en tant que vice-présidente senior. Son ascension est rapide et régulière : administratrice en 2001, présidente en 2004, puis co-directrice générale en 2014 aux côtés de Mark Hurd, après la décision de Larry Ellison de se retirer. À la mort de Hurd en 2019, elle prend seule les rênes de l’entreprise. Tout au long de son mandat, Catz a joué un rôle central dans les décisions les plus déterminantes d’Oracle, de l’acquisition de PeopleSoft pour 10,3 milliards de dollars à l’expansion agressive du groupe dans le cloud et les infrastructures d’intelligence artificielle.

Ce qui rend cette transition particulièrement intéressante, ce n’est pas seulement le changement de leadership, mais aussi le contraste entre les styles qui ont façonné l’identité d’Oracle au fil des ans. Larry Ellison et Safra Catz incarnent deux archétypes de dirigeants distincts : efficaces chacun à leur manière, mais radicalement différents dans leur approche.
Oracle, une histoire de visions
Ellison, fondateur d’Oracle, est connu pour son style audacieux et autoritaire. Il a dirigé d’une main ferme et de façon centralisée, assumant des stratégies à haut risque et haut rendement, et prenant des décisions rapides qui défiaient souvent les conventions. Charismatique et tranchant, il a imprimé à la culture d’Oracle une dimension combative et une volonté implacable de dépasser ses concurrents. Sa vision était ambitieuse, souvent provocatrice, toujours sans concession.
Catz, à l’inverse, s’est distinguée par sa force tranquille. Son style est analytique, méthodique, centré sur l’excellence opérationnelle. On la connaît pour ses décisions fondées sur les données, son goût pour l’action en coulisses et son insistance sur la collaboration, la responsabilité et l’intégrité éthique. Là où Ellison prospérait grâce à des visions audacieuses et des virages rapides, Catz privilégiait l’exécution disciplinée et la croissance durable. Ensemble, leurs approches complémentaires ont permis à Oracle de passer d’un empire fondateur à une entreprise résiliente et mûre.
Cette dualité soulève une question plus vaste : qu’est-ce qui définit réellement un leadership efficace ?
Des réponses de McKinsey, Bain et BCG…
Ces dernières années, les grands cabinets de conseil – McKinsey, Bain et BCG – se sont penchés sur cette question, forts de leur expérience auprès des dirigeants de tous secteurs et horizons. Chacun propose un cadre spécifique, mais leurs conclusions convergent autour de principes durables qui éclairent l’essence du leadership.
McKinsey avance un modèle fondé sur six traits essentiels : l’optimisme, le leadership altruiste, l’apprentissage continu, la résilience, la légèreté et le sens des responsabilités. Ces qualités constituent, selon eux, des repères universels permettant aux dirigeants de traverser l’incertitude et de guider leurs organisations sur le long terme. La force de ce modèle réside dans sa clarté : des principes faciles à retenir, mais assez larges pour couvrir la complexité du leadership.
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Bain adopte une grille plus détaillée, identifiant trente-trois traits qui contribuent à un impact durable. Ceux-ci sont répartis entre ressources intérieures (humilité, vitalité, équilibre) et pratiques extérieures (soutien, ambition partagée, vision). Ce cadre met en avant la richesse des expressions du leadership et l’importance de la croissance personnelle, de la profondeur relationnelle et de l’adaptabilité contextuelle.
BCG, pour sa part, articule son modèle autour de la triade « tête, cœur, mains ». La tête représente la clarté stratégique et la vision ; le cœur, l’empathie et la connexion humaine ; les mains, l’exécution disciplinée. BCG distingue aussi deux archétypes : le PDG transformateur, qui impulse le renouvellement ; et le leader génératif, qui fait grandir les autres. Ce modèle insiste sur la double responsabilité des dirigeants : être performant aujourd’hui, tout en préparant la résilience de demain.
…aux 5 fondements du leadership efficace
Malgré leurs différences, ces cadres partagent des thèmes communs. L’optimisme ressort comme une qualité fondatrice, explicite ou implicite. L’altruisme et l’attention aux autres apparaissent aussi centraux, qu’il s’agisse du leadership désintéressé (« selfless leadership ») de McKinsey, de l’humilité chez Bain ou de l’empathie et du rôle génératif chez BCG.
L’engagement dans une croissance personnelle continue est un autre fil rouge. McKinsey y voit l’habitude d’apprendre ; Bain insiste sur l’ouverture, la flexibilité et la réalisation de soi ; BCG souligne le rôle de transformation et de transmission. La résilience est également récurrente, qu’elle soit nommée, associée à la stabilité émotionnelle ou reliée à la capacité de soutenir un changement durable.
Tous s’accordent enfin sur l’idée de « stewarship », de responsabilité à long terme : le leadership n’est pas seulement une question de résultats immédiats, mais de construction d’un héritage. Qu’il soit décrit comme « stewardship », comme ambition partagée ou comme vision à long terme, cet état d’esprit tourné vers l’avenir est central.
De ces analyses émerge un modèle intégré : cinq fondements du leadership efficace – optimisme, altruisme, apprentissage continu, résilience et responsabilité. Mais il n’existe pas de recette unique. Certains dirigeants incarnent ces qualités par la clarté intellectuelle, d’autres par la connexion émotionnelle ou la discipline opérationnelle. Ce qui compte, ce n’est pas la conformité à un modèle, mais l’authenticité avec laquelle ces principes se traduisent dans leur personnalité et leur contexte.
To do or not to do
Les traits et compétences ne sont qu’un point de départ. Ce qui fait l’impact, c’est leur traduction en actes. L’optimisme importe lorsqu’il nourrit des stratégies audacieuses. L’altruisme a du sens lorsqu’il responsabilise les autres. La résilience prend toute sa valeur lorsqu’elle soutient les transformations de long terme. La responsabilité compte lorsqu’elle assure un héritage qui dépasse le mandat d’un dirigeant.
En définitive, le leadership ne se définit pas par ce que l’on est, mais par ce que l’on fait. Les leaders les plus efficaces transforment le caractère en action, les principes en pratiques et le style personnel en impact organisationnel. Leur authenticité façonne leur manière de diriger – mais ce sont leurs choix et leurs actes qui déterminent leur efficacité.
	

