Injustice climatique : qu’est-on en droit d’exiger des pays du sud ?

Injustice climatique : qu’est-on en droit d’exiger des pays du sud ?
Vehicles break through the flood that flooded several roads in Jakarta, Indonesia

Les pays pauvres sont victimes d’une injustice climatique : les émissions de CO2 des pays riches ont un impact important sur leur territoire. De plus, les exigences à leur égard en matière de normes environnementales sont alignées sur celles des pays riches. Alors même que ces derniers sont historiquement responsables de l’essentiel du réchauffement climatique.

Dans un papier publié dans Finance Research Letters en 2021 avec ma collègue Sana Ben Abdallah intitulé « African firm default risk and CSR », nous mettions en évidence un lien entre le risque de défaut de l’entreprise africaine et sa stratégie environnementale. La stabilité des entreprises africaines est tributaire de la mise en œuvre d’une approche de développement durable. Bref, la performance environnementale de l’entreprise africaine a un coût et un impact sur sa stabilité. Les conséquences des risques climatiques ne peuvent donc pas être neutres sur la stabilité des entreprises du continent.

Or les émissions de CO2 des pays riches sont comme le nuage de Tchernobyl : elles ne s’arrêtent pas aux frontières. Elles atteignent les pays pauvres et ont un impact significatif sur leur territoire. C’est ce qu’on appelle l’injustice climatique : le fait que les pays les plus touchés par les catastrophes naturelles sont généralement ceux qui ont le moins pollué.

Les pays du G20 ont contribué aux trois quarts du réchauffement climatique

L’Afrique, par exemple, contribue à 3 % des émissions mondiales de CO₂. Et pourtant l’Afrique souffre de chaleurs extrêmes, de sécheresse, d’inondations, de cyclones, de tsunamis… dont elle n’est pas à l’origine. À cela s’ajoute que certaines zones, au Mali ou au Niger, sont totalement irradiées. Les maladies s’y étendent du fait des extractions massives d’uranium dans des conditions de sécurité précaires. La déforestation continue à défigurer le milieu naturel. À long terme, ces externalités négatives peuvent avoir un « effet boomerang » sur l’humanité entière.

Les États-Unis ont ainsi contribué à environ 17 % du réchauffement climatique entre 1850 et 2021. En revanche, l’Inde a contribué à hauteur de 5 % au réchauffement climatique au cours de cette période, bien que le pays ait une population bien plus nombreuse que les États-Unis. Au total, les pays du G20 ont contribué, jusqu’à présent, aux trois quarts environ du réchauffement climatique.

Ces changements violents sont également en train d’affecter la trajectoire de croissance du continent africain. Une baisse de la productivité agricole de 30 % apparaît comme une hypothèse plausible. Chaque catastrophe en Afrique conduit immédiatement à une hausse estimée selon les sources à 20 % de l’insécurité alimentaire. Si on ne fait rien, c’est une baisse d’au moins 30 % du PIB à laquelle il faut s’attendre d’ici à 2050 sur la base des données du Fonds monétaire international (FMI).

Le choc du MACF pour l’Afrique

L’impact environnemental ne peut donc pas se mesurer de la même façon dans les pays industrialisés et dans les pays émergents. Dans la lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut pas demander les mêmes efforts à la France et à l’Afrique du Sud, à l’Allemagne et au Brésil.

Or les pressions, les normes et les standards écologiques des pays riches sont fort contraignants pour les pays pauvres. Pourtant une transition écologique rapide est exigée comme en témoignent certaines conclusions de la COP 28 ou certaines directives et instruments réglementaires de l’Union européenne.


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Prenons le cas du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) adopté par le Conseil de l’Union européenne (UE) qui est entré dans une phase d’essai le 1er octobre 2023 pour un démarrage effectif en 2026 : il s’agit d’un véritable choc pour l’Afrique partenaire commercial des Vingt-Sept. Le MACF exige des entreprises européennes de déclarer la teneur en carbone de leurs importations (acier, fer, ciment, aluminium, engrais, hydrogène, etc.).

Ce mécanisme imposera donc une taxe sur le CO2 émis pour leur fabrication hors UE. Le résultat attendu serait une moindre compétitivité des exportations africaines et donc un frein à la croissance. Ironie du sort, l’Afrique aura, au bilan, moins de moyens pour assurer le financement de sa transition écologique. Or, l’Afrique est aujourd’hui face à une équation difficile mais pas impossible à résoudre : elle doit encourager la croissance sans alimenter les émissions de CO₂.

Le risque de l’ethnocentrisme

Le dictionnaire Larousse définit l’ethnocentrisme comme :

« [La] tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés. »

Or la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et plus généralement la transition écologique sont souvent lues sous le prisme des pays riches qui semblent en détenir les clés et les stratégies. Les centres de décision en la matière sont encore situés dans l’hémisphère nord. Ces enjeux ne peuvent pourtant pas se conjuguer au singulier mais doivent être abordés de manière ouverte sur un monde pluriel.

La COP28 de fin 2023 à Dubaï devait être l’élément correcteur de cet ethnocentrisme par une écoute plus attentive des pays les plus vulnérables. L’annonce très espérée d’un fonds de compensation des pertes et dommages climatiques dans les pays pauvres pourrait être un pas positif et certainement décisif pour une meilleure compréhension mutuelle et une correction de l’injustice climatique.

Or, depuis 2009, le Nord fait patienter le Sud. Rien n’est réglé pour l’heure. Seules des promesses de financement sont annoncées. Comment éviter alors la fracture du monde entre l’Occident et les pays du Sud ?

La piste des obligations vertes

En attendant les fonds de compensation des pertes et dommages climatiques dans les pays pauvres, une partie de la solution à la crise climatique dans les pays émergents pourrait être les obligations vertes. Cette finance s’appuie sur une levée de fonds pour des projets respectueux de l’environnement, comme les énergies renouvelables ou les transports propres.

La plupart des obligations vertes de l’Afrique ont été émises par la Banque africaine de développement (BAD). Le Maroc, l’Égypte, le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont parmi les plus dynamiques. Les fonds collectés visent à se protéger notamment de la montée du niveau de la mer ou encore soutenir des projets d’énergie solaire.

Pour le moment les obligations vertes émises en Afrique ne représentent qu’une petite partie du marché obligataire mondial et 0,17 % du total des émissions mondiales sur la période 2014-2022, l’équivalent de 2 136 milliards de dollars. En Amérique latine, cette part ne représente que 1,76 % sur la même période. Les émissions mondiales sont dominées par l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord à plus de 70 %. Elles présentent un réel potentiel pour aider les pays en développement à évoluer vers des économies plus vertes et plus égalitaires mais la profondeur du marché reste faible.

Les autres solutions financières peuvent concerner les fonds de la diaspora africaine qui s’élèvent à presque 100 milliards de dollars US en 2021. Il s’agit d’une opportunité pour les banquiers africains. Le montage serait le suivant. Les banques collectent et transforment une partie de cette manne en crédits verts financés par des encouragements des États grâce aux Fonds de compensation des pays riches.

La solution n’est pas que financière

À moyen et long terme, la transition écologique exige tout un écosystème à mettre en place dans les pays pauvres concernés. Il passe par trois éléments clés.

L’éducation et la certification en économie et finance verte et durable. Cela consiste à former de vrais spécialistes des risques climatiques et de la transition écologique et numérique dans des programmes spécialisés au sein des universités en relation avec la recherche en cours.

L’implication de la société civile, des ONG, des think tanks. En Afrique, par exemple, un Observatoire africain de la finance durable semble plus qu’utile pour unifier et adapter les réglementations internationales en cours. De même que des Conseils nationaux de la RSE réunissant toutes les parties prenantes semblent plus qu’utiles pour accompagner et dessiner des stratégies nationales cohérentes face aux exigences de l’Europe.

La recherche d’instruments de mesure d’impact à l’adresse des entreprises, des banques et des organisations afin de mesurer les progrès en matière de développement durable. Cette métrique mérite d’être adaptée aux entreprises des pays émergents afin que la transition E-S-G (environnement-social-gouvernance) évite tout ethnocentrisme et toute injustice. Cette contextualisation devrait en effet tenir compte du S et du G dans des pays qui subissent des impacts sur le E, sans en être véritablement responsables.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Dhafer SaidaneProfesseur en Finance, Centre for Global Risks, SKEMA Business School - Université Côte d'Azur, France

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