La guerre d’Ukraine, accélérateur de la construction européenne ?

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Chaque mois, Frédéric Munier, le directeur de l’École de géopolitique de SKEMA Business School publie une chronique dans le magazine Pour l’Éco. En janvier 2023, il mettait en évidence que l’agression russe de l’Ukraine, avait relancé l’affirmation d’un hard power européen. Autant qu’une menace, la guerre est pour l’UE un puissant aiguillon. Chronique.

L’Europe en construction a longtemps eu un problème avec la puissance. En 1973, lors du premier élargissement de ce qui n’était encore que la CEE, ses représentants réunis à Copenhague, déclaraient que « L’Europe des neuf est consciente des devoirs internationaux que lui impose son unification. Celle-ci n’est dirigée contre personne ni inspirée par une quelconque volonté de puissance ».

L’Europe et la prophétie de Jean Monnet

Ce refus délibéré de construire un hard power (manière forte) après deux guerres mondiales dont le Vieux Continent avait été l’épicentre, a valu à l’Europe les railleries des géopolitologues américains. En 2002, Robert Kagan ironisait : « L’Europe est en train de se détourner de la puissance [pour] accéder au paradis post-historique où tout n’est qu’apaisement et prospérité. »

Au fond, et c’était tout le problème, si les Européens pouvaient délaisser la puissance des armes pour la « puissance de la norme » (Zaki Laïdi)… c’est qu’ils bénéficiaient de la protection américaine offerte par l’OTAN.

Et même si l’Union européenne avait organisé, depuis, le traité d’Amsterdam, en 1997, et plus encore depuis celui de Lisbonne, en 2007, une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), force est de constater qu’une Europe crédible de la défense manquait à l’appel.

La guerre d’Ukraine a radicalement changé la donne en la matière. Avant elle, l’UE était marquée par une désunion croissante, du Brexit aux coups de boutoir donnés par la Hongrie et la Pologne contre les principes démocratiques européens. Il n’aura fallu que quelques semaines pour que, dans un quasi-unanimisme, Bruxelles adopte un train de sanctions inédites dans son histoire. Au pouvoir économique s’est ajouté l’affirmation d’un pouvoir militaire. Pour la première fois, l’UE a recouru à la « facilité européenne pour la paix » créée en 2021 pour financer l’envoi de matériel militaire aux forces de Kiev. En outre, les Européens ont adopté le 25 mars 2022 la « boussole stratégique », un document qui entend fixer les grandes orientations militaires de l’UE à l’horizon 2030, prévoyant notamment une « capacité de déploiement rapide ». Enfin, last but not least, Olaf Scholz a annoncé que l’Allemagne allait devenir la première puissance militaire de l’Union en accroissant son budget à hauteur de 2% du PIB. Dans un récent article publié dans Foreign Affairs, le chancelier allemand a certes réaffirmé le rôle indispensable de l’OTAN mais aussi le caractère nécessaire d’une politique de défense européenne. Dans tous les registres de la puissance, l’Union s’est plus affirmée en un an que depuis sa naissance ! Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, avait déclaré après l’échec de la CED en 1954 que « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». La guerre d’Ukraine n’a pas fait démentir ce principe, loin s’en faut.


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Nicolas Jacob

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Etudiant à SKEMA Business School, Programme Grande Ecole, MSc en Corporate Finance & Master en Management

Dhafer Saidane

11 articles

Professeur en Finance, Centre for Global Risks, SKEMA Business School - Université Côte d'Azur, France

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