En 1973, Alain Peyrefitte signait un essai retentissant : Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera. Cinquante ans plus tard, les faits lui donnent raison. L’émergence de la Chine comme superpuissance industrielle a ébranlé beaucoup de pays et les conduit aujourd’hui à dénoncer la mondialisation telle qu’elle existe. Dans cet article initialement paru dans le magazine Pour l’Eco, Rodolphe Desbordes, professeur d’économie, directeur du centre de recherche Global Risks à SKEMA Business School et auteur de Les Grands Enjeux de la mondialisation commerciale (Ellipses) analyse ce second choc chinois.
Au début du XXIe siècle, l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale a provoqué un traumatisme global. La hausse spectaculaire des importations chinoises dans les pays développés s’est accompagnée d’une contrepartie : de lourdes pertes d’emplois manufacturiers dans les secteurs exposés à cette concurrence. Ce premier choc chinois exposa non seulement à quel point combien les perdants du commerce international peuvent être géographiquement concentrés, mais établit aussi l’incapacité de ces derniers à rebondir, même des années plus tard, par manque de qualification ou de mobilité régionale. Il alimenta aussi l’attirance des électeurs pour des candidats nationalistes et protectionnistes, favorisant par exemple en 2016 la victoire de Donald Trump aux États-Unis avec, par la suite, une guerre commerciale sino-américaine.
La nouvelle vague chinoise…
En 2024, un nouveau coup de bélier chinois pourrait achever de perturber la mondialisation. Après deux décennies de développement économique fulgurant, la croissance chinoise, entravée par la pandémie de Covid-19 et un secteur immobilier en difficulté, a fortement ralenti. Revenant à un modèle économique qui semblait pourtant dépassé, incapables d’évoluer vers un modèle fondé sur la consommation intérieure, les dirigeants chinois tentent (à nouveau) de relancer l’économie par les exportations. Ils visent à dominer le marché mondial des technologies essentielles à la transition écologique : batteries lithium-ion, véhicules électriques et panneaux solaires. Grâce à un réel savoir-faire technique combiné à d’abondantes subventions publiques, la production chinoise de ces biens est déjà très compétitive à l’international. Les conditions sont donc propices à un second choc chinois mettant en danger les secteurs d’avenir des autres pays.
…et les brise-lames occidentaux
Mais les dirigeants européens et américains ont retenu la leçon du premier choc. Ils refusent cette fois de sacrifier massivement des emplois et de perdre leur indépendance manufacturière pour des activités aussi stratégiques que l’automobile (8 % de l’emploi industriel européen), les batteries et les panneaux solaires. En défense de leurs intérêts, l’Union européenne et les États-Unis menacent la Chine de mesures protectionnistes de rétorsion, restreignent leurs exportations de certaines technologies et déploient leurs propres politiques industrielles. Les deux chocs chinois sont largement responsables des tensions qui affectent la mondialisation commerciale en 2024, avec le risque de voir cette mondialisation se fracturer en blocs géopolitiques, causant une fragmentation géo-économique qui serait néfaste. Il faudrait, bien au contraire, lancer le dialogue entre partenaires, avec pour objectif de reconstruire un ordre économique international acceptable par tous, un ordre reconnu entre les pays mais aussi à l’intérieur des pays.
Cet article est paru initialement dans…