Moyen-Orient : comment le pétrole finance l’après-pétrole

Les fonds souverains à l'épreuve du long-terme
Partager

Vous les imaginiez dans le foot ? Ils sont en fait dans la santé. Vous pensiez leurs projets pharaoniques ? Ils en ont aussi de plus légers. Les fonds souverains du Moyen-Orient diversifient leurs investissements pour faire jaillir du désert des ressources moins épuisables que le pétrole.

Dans le désert, le pétrole ne coule pas seulement vers les marchés mondiaux. Il finance aussi des projets futuristes, de grands clubs de football européens et des start-ups de la Silicon Valley. Ces fonds souverains, alimentés par les pétrodollars, sont devenus les nouveaux leviers de l’influence des monarchies du Golfe.

Avec plus de 5 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, les fonds souverains du Moyen-Orient comptent parmi les plus puissants du monde. Leur rôle s’est considérablement élargi. Autrefois cantonnés à des placements financiers classiques, ils se déploient désormais dans des secteurs stratégiques, avec pour double approche de sécuriser les rendements et d’esquisser une économie moins dépendante des hydrocarbures.

Traitement de chocs

Mais sous des investissements aux montants comparables, se cachent des logiques variées. Le Qatar a longtemps privilégié des participations passives dans de grandes banques internationales avant de s’orienter vers des secteurs plus stratégiques comme la technologie, la fintech ou le sport. Les Émirats arabes unis (EAU), en plus du sport, misent sur leur tradition commerciale et touristique, tandis que le Koweït conserve une approche plus prudente. Ces trajectoires différentes traduisent pourtant une même urgence : transformer la rente énergétique en piliers économiques alternatifs.

Au-delà de leur fonction d’investissement, ces fonds agissent comme une ancre budgétaire. Quand les prix du pétrole chutent, ils permettent d’amortir les chocs et de maintenir la stabilité des finances publiques. Lorsque les cours s’envolent, ils agissent comme un canal de réallocation des excédents vers des classes d’actifs multiples. Stabiliser aujourd’hui et financer demain : les fonds souverains marchent sur une ligne de crête où chaque choix pèse double.

Des investissements stratifiés

L’étude de leurs investissements fait apparaître une hiérarchie. Deux secteurs se distinguent comme de véritables moteurs stratégiques : la technologie et la santé. C’est là que les fonds trouvent à la fois du rendement et du sens stratégique. Miser sur les biotechs, l’intelligence artificielle ou l’innovation médicale, c’est anticiper des relais de croissance capables de prolonger l’économie au-delà de la rente pétrolière.

Un cran en dessous, les infrastructures posent les bases d’une économie diversifiée. Routes, énergies, réseaux… Sans elles, aucune diversification durable n’est possible. Ces investissements ne génèrent pas de retours immédiats, mais ils contribuent à bâtir le socle d’un développement solide.


À lire aussi : L’OPA tentaculaire de l’Arabie saoudite sur le monde du sport et du divertissement


À l’inverse, le sport et le tourisme appartiennent surtout au régime de la vitrine. Clubs de football ou grands évènements internationaux : ces choix marquent les esprits et renforcent leur soft power, malgré leur poids économique limité. Ce travail de l’image est assumé : devenir un acteur central du sport ou de la transition verte permet de gagner en légitimité internationale, quitte à reléguer une rentabilité momentanée au second plan.

Enfin, le capital-risque (venture capital) illustre la part de pari. Il mise sur l’émergence de nouvelles entreprises innovantes avec une promesse de rendements dépassant largement ceux des secteurs traditionnels. Risqué, inégal mais porteur d’opportunités. Même si certains projets explosent, il se distingue par une forte volatilité, ce qui limite sa capacité à produire des effets tangibles à court-terme. Le choix d’investir aux États-Unis, en Europe mais aussi en Chine ne relève pas seulement de l’économie : c’est une manière d’élargir les alliances géopolitiques, y compris avec les pays des BRICS.

L’épreuve du long-terme

La puissance financière seule des fonds souverains ne garantit pas la réussite de leur diversification. Les projets stratégiques mis en œuvre dans les différents secteurs prennent du temps à se développer et mobilisent des capitaux sans offrir des résultats immédiats. Pourtant la pression politique impose une logique différente : les dirigeants doivent démontrer rapidement les bénéfices de la diversification, à la fois pour répondre aux attentes de leur population et projeter leurs succès à l’international. Cette tension explique la coexistence de projets pharaoniques et de chantiers plus discrets, mais essentiels pour bâtir des filières productives.

La question de la gouvernance reste décisive. Quand les décisions prises reposent sur un mandat clair, des critères transparents et une discipline d’allocation, les fonds parviennent à transformer leurs milliards en vecteurs de croissance durable. Le rapport annuel du fond Mubadala (Emirats arabes unis), met par exemple en évidence sa stratégie long-terme et sa diversification des actifs dans la sélection des projets. À l’inverse, lorsque la gestion reste opaque, et que les décisions sont concentrées entre quelques mains, les projets sont perçus comme symboliques et coûteux, plutôt que comme supports de création de valeur.


À lire aussi : Qui a peur d’investir en Afrique ?


Le véritable enjeu réside donc dans la manière dont l’argent est dirigé. Des milliards peuvent être mobilisés mais, aux dires d’un cadre du Qatar Investment Authority (QSI) que nous avons interrogé, s’ils ne s’accompagnent pas de retombées locales, de transferts de compétences ou de création d’emplois qualifiés, ces investissements restent sans effet profond sur la diversification. C’est dans la durée qu’une partie de la promesse de l’après-pétrole prend forme.

Les fonds souverains poursuivent plusieurs vocations à la fois : préparer les générations futures, diversifier des économies trop dépendantes des hydrocarbures et renforcer le soft power de leurs États. Cette triple logique explique pourquoi ils alternent entre investissements stratégiques et projets plus spectaculaires destinés à marquer les esprits. Derrière cette diversité, une même fragilité demeure : la difficulté à transformer ces milliards en une base économique locale et solide, faute de main-d’œuvre qualifiée et de structures productives endogènes. Révolution ou mirage ? La réponse est encore dans cet entre-deux.

Nos auteurs

Chercheurs, professeurs, experts… retrouvez ceux qui donnent vie à nos contenus.

Fabien Seraidarian

5 articles

Vice Dean Research & Knowledge Transfer, Scientific Director MBAs programmes, SKEMA Business School.

Aurélien Chai

2 articles

Étudiant du MSc, Corporate Financial Management à SKEMA Business School.

VOIR TOUS nos auteurs