Moyen-Orient : crise régionale, désordre mondial

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Chaque mois, Frédéric Munier, le directeur de l’École de géopolitique de SKEMA Business School publie une chronique dans le magazine Pour l’Éco. Alors que la séquence géopolitique qui embrase Israël et la bande de Gaza depuis le 7 octobre bouleverse les équilibres qui étaient en marche jusque-là au Moyen-Orient, il s’interroge sur ses conséquences régionales et mondiales.

Dans son livre Le Prophète et la pandémie, paru en 2021, Gilles Kepel décrivait les récentes logiques de recomposition à l’œuvre au Moyen-Orient. Il opposait notamment ce qu’il dénommait « l’axe fréro-chiite » (c’est-à-dire une alliance entre Frères musulmans sunnites et musulmans chiites) s’appuyant sur la Turquie, le Qatar et l’Iran à « l’entente d’Abraham » autour des Émirats arabes unis, de Bahreïn, du Soudan, du Maroc et d’Israël.

L’axe et l’entente

Le ciment de « l’axe » est l’opposition à Israël et la promotion d’un islamisme politique, voire terroriste, dont témoigne le soutien aussi bien au Hamas qu’au Hezbollah. Quant à « l’entente », elle relie des pays musulmans ayant choisi la realpolitik au nom de laquelle ils ont reconnu Israël par les accords d’Abraham, signés en 2020. L’emploi d’expressions remontant aux prémices de la Première Guerre mondiale n’est pas anodin… Cette surprenante recomposition des alliances découle de plusieurs facteurs, dont le retrait partiel des États-Unis du Moyen-Orient, associé à l’essor de géants régionaux.

La Turquie, par exemple, a développé une politique, qualifiée de « néo-ottomane », faite d’interventionnisme en Libye, en Syrie, en Méditerranée orientale. L’Arabie saoudite, quant à elle, tout en maintenant une relation spéciale avec les États-Unis, remontant au pacte du Quincy de 1945, mène désormais une diplomatie de plus en plus autonome : en témoigne son spectaculaire rapprochement avec l’Iran (mars 2023) sous l’égide de Pékin. En témoigne aussi le fait qu’elle s’apprêtait très probablement à rejoindre les accords d’Abraham et à reconnaître Israël, sacrifiant par là même la cause palestinienne sur l’autel du réalisme.

Les images terrifiantes de l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier et la réaction d’Israël dans la bande de Gaza ont mis à mal ce rapprochement ; aux yeux du monde arabe, l’Arabie saoudite ne saurait cautionner les bombardements sur Gaza. Pour le moment, les grands gagnants de cet épisode dramatique sont sans nul doute l’Iran – qui redoutait d’être affaibli par un accord entre les pays sunnites et l’État hébreu – et la Russie qui l’utilise comme un contre-feu pour faire oublier la guerre d’Ukraine. Au-delà, cette crise a des répercussions mondiales : elle contribue à élargir le fossé entre un « Ouest » soutenant Israël et un « Reste » attaché, non sans arrière-pensées à la cause palestinienne. Elle contribue aussi à fragiliser l’équilibre des pays occidentaux où des opinions publiques de plus en plus polarisées se déchirent sur cette question. Comme le notait Bertrand Badie, « à défaut d’avoir été au centre du monde […], le Moyen-Orient n’a cessé d’être au centre de son agenda ». Le drame de cette tragédie est patent : plus le bilan humain s’alourdit, plus la perspective d’une paix s’éloigne pour le plus grand malheur des populations locales…


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Carole Daniel

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Professeure et chercheuse à SKEMA Business School, Académie Globalisation, membre du SKEMA Centre for Sustainability Studies

Nicolas Jacob

2 articles

Etudiant à SKEMA Business School, Programme Grande Ecole, MSc en Corporate Finance & Master en Management

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