Les étudiants des Grandes Ecoles ont l’habitude de travailler sur des problèmes complexes en peu de temps à l’aide d’outils technologiques tels que leur ordinateur ou leur téléphones portable. Mais que se passerait-il si on leur retirait ces technologies et leur donnait à la place une paire de ciseaux, des stylos, du papier et de vieux magazines ? Seraient-ils toujours aussi efficaces pour résoudre des problèmes complexes ? Nous avons essayé la méthode du collage pour aider les étudiants de SKEMA à (re)trouver de la créativité dans leur travail.
« Quel est le but de cet exercice ? », « pourquoi devons-nous travailler avec ça ? », « est-ce que nous ne pourrions pas utiliser nos ordinateurs portables à la place ? » Notre premier défi était de persuader les étudiants de L3 du Programme Grande Ecole de SKEMA de laisser de côté leur ordinateur portable (ou téléphone) et d’utiliser des méthodes apparentées à la maternelle, à l’aide de ciseaux, de stylos, de papier et de magazines.
L’exercice consistait à créer un personae d’acheteur et une carte d’un parcours client potentiel, en partant de zéro et en utilisant des techniques de brainstorming traditionnelles. Comment imaginer les futurs clients d’un produit et d’une marque spécifiques ? Quels sont leurs hobbies, centres d’intérêt, modes de vie et habitudes d’utilisation ? Seriez-vous en mesure d’imaginer un scénario montrant comment les consommateurs en viennent à choisir le produit, l’acheter, l’utiliser et partager leurs expériences avec d’autres ?
Certains étudiants ont tout de suite apprécié l’idée de ranger leurs ordinateurs et de travailler exclusivement avec un crayon et du papier, mais d’autres ont eu beaucoup de mal avec cette « nouvelle » méthode. « On n’est pas créatifs », ont protesté certains étudiants. « Comment travailler sur des situations créatives si nous ne le sommes pas ? », se sont questionnées plusieurs équipes. C’était précisément l’un des objectifs de l’exercice…
Les étudiants de la Gen Z hors de leur zone de confort
Les méthodes de collage sont connues pour encourager la créativité. Comme approche artistique, le collage gagne en importance en tant que méthode de recherche dans de nombreuses disciplines, y compris l’éducation (Gerstenblatt, 2013). Il désigne généralement des œuvres en deux dimensions créées à partir de l’assemblage de plusieurs matériaux différents. Les méthodes qui lui sont liées peuvent être utiles pour aborder des questions importantes dans les sciences sociales, car elles permettent aux participants de réfléchir et de donner du sens à leurs expériences (Roberts et Woods, 2018). Par ailleurs, un collage peut susciter des réactions de « choc et de surprise » (Burge et al., 2016, p. 735), ce qui aide les étudiants à sortir de leur zone de confort.
L’utilisation croissante des technologies dans notre quotidien, que ce soit les appareils high-tech, les réseaux sociaux ou l’intelligence artificielle générative, crée une culture « oculocentrique » (Mitchell, 2011), où les images façonnent la manière dont nous nous voyons, dont nous voyons les autres et dont les autres nous voient (Mannay et al., 2018). L’utilisation du collage s’aligne avec cette culture et introduit en classe une nouvelle perspective qui saisit les aspects subtils de nos expériences et de nos sentiments de manière plus créative (Roberts et Woods, 2018). Les étudiants de SKEMA connaissent trop bien les méthodes classiques, telles que Word, Excel ou les présentations PowerPoint. Une méthode de représentation artistique inhabituelle peut donc leur permettre de prendre un temps de réflexion, d’examiner les présupposés, et d’hésiter avant de tirer des conclusions « au lieu de se contenter de répéter des points de vue connus ou de parvenir rapidement à des conclusions figées » (Burge et al., 2016, p. 734).
N’ayez pas peur de devenir un étudiant différent
Qu’est-ce qu’un « bon » collage ? Quels matériaux avons-nous utilisés ? Qu’est-ce qui est recommandé ? De manière générale, les étudiants étaient invités à choisir le matériel qu’ils allaient utiliser. Nous leur avons fourni quelques stylos de couleur, du papier ainsi que des journaux et magazines exemplaires, mais nous leur avions également demandé d’apporter le matériel qu’ils considéraient utiles pour l’activité. Les meilleurs collages ont été réalisés lorsque les étudiants se sont vraiment investis dans l’exercice. Autrement dit, lorsque les étudiants ne craignaient pas d’être vus comme des « enfants en train de jouer », ils comprenaient l’essence de l’activité et réalisaient un travail de qualité. À l’inverse, quand les étudiants l’abordaient en se disant : « ce n’est pas une activité d’adultes », les collages étaient plus pauvres et moins intéressants, tant sur le plan pédagogique que sur celui de l’apprentissage.
D’après les retours des étudiants, voici ce que nous avons appris de notre première approche :
- Avant que les étudiants ne se mettent au travail, exposez clairement l’objectif de la méthode du collage. Comparée à d’autres méthodes plus classiques, elle n’est pas toujours claire pour les étudiants, notamment en ce qui concerne les raisons de son utilisation et ses bénéfices principaux.
- Mettez à disposition en classe tout le matériel pour réaliser le collage, dans une « boîte à collage ». Nous avions demandé aux étudiants d’apporter certains éléments, mais fournir l’ensemble du matériel aurait facilité la réalisation du collage en classe.
- Établissez un lien clair entre l’activité de collage et les autres projets du cours. Par exemple, vous pouvez expliquer aux étudiants que leur projet comporte trois phases et que la méthode du collage sera utilisée lors de la première phase comme outil de brainstorming.
- Évitez de répéter les mêmes tâches. Lorsque les étudiants travaillent sur le collage, ils ne doivent pas, par exemple, réaliser des éléments similaires avec des outils en ligne.
- Assurez-vous que le collage reste disponible pour les étudiants. S’ils doivent travailler sur d’autres devoirs à partir du collage, il faut qu’ils puissent y avoir accès facilement.
Figure: Boite de collage proposée (Culshaw, 2019)
De manière générale, nous avons trouvé l’utilisation de la méthode du collage enrichissante dans notre cours, mais sa complexité ainsi que l’organisation des matériaux nous amènent à penser qu’elle serait moins avantageuse pour un cours principal multi-campus classique de SKEMA. Idéalement, ce genre d’approche serait plus adapté à un public ciblé, comme dans les cours optionnels ou pour des étudiants plus expérimentés, notamment dans des classes de master ou de MBA. Ils ne doivent pas avoir peur de « passer pour des enfants ». Les enseignants pourraient par ailleurs bénéficier d’une formation spécifique sur la manière d’enseigner et de modérer les discussions autour de la méthode du collage. Enseignants et étudiants ont parfois besoin d’un retour aux fondamentaux.