Finance : où sont les femmes ?

Finance : où sont les femmes ?
Image générée par Midjourney

Les métiers de la Finance semblent hermétiques aux femmes. La loi agit pourtant dans le sens de leur meilleure représentation aux postes de direction, et le secteur est demandeur. Alors comment expliquer que moins d’une entreprise financière sur six soit dirigée par une femme ?

Avez-vous déjà vu une femme patronne de banque ? Seulement 16% des grandes institutions financières dans le monde sont dirigées par des femmes en 2024. En plus d’être décevant, ce chiffre ne progresse que très lentement (11% en 2014, 14% en 2023). A ce rythme, la parité, et même la mixité, semblent inaccessibles. Et c’est bien le paradoxe, puisque le secteur cherche activement à féminiser ses effectifs.

Ses efforts sont certes récents, mais indéniables, même si les objectifs qu’il se fixe sont éloignés d’une parité parfaite. Ils répondent essentiellement à des enjeux de réputation, et à des exigences réglementaires.

« Promouvoir la mixité »

La directive Women on Boards adoptée par le Parlement européen, en novembre 2022, stipule notamment qu’à l’horizon 2026, les comités de direction des grandes entreprises européennes devront être composés d’au moins 40% du genre sous-représenté. En France, les lois Copé-Zimmermann (2011) et Rixain (2021) cherchent à fixer un cadre permettant de mieux représenter les femmes aux postes de gouvernance.

Dans le secteur financier, certaines branches s’organisent pour se fixer des objectifs à moyen-terme. Les membres du réseau Financi’Elles (parmi lesquels Société Générale, BNP Paribas, Groupe BPCE, AXA…) s’engagent, par exemple, au moyen d’une charte commune : elle veut « promouvoir la mixité […] afin d’accélérer l’accès des femmes au sommet des organisations du secteur de la finance ».

France Invest est un autre bon exemple : l’association française des sociétés de capital-investissement, promet qu’il y aura « 40% de femmes dans les équipes d’investissement et 25% de femmes ayant une responsabilité dans les décisions du comité d’investissement d’ici 2030 ». Certaines certifications, comme B Corp, et des labels internationaux, qui attestent de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, ont également ajouté la mixité à leurs critères d’évaluation.

Plus les entreprises financières sont dirigées par des femmes…

Au-delà des fameux critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), c’est aussi, on le sait moins, un enjeu de performance. Les entreprises sont pragmatiques. Ces efforts répondent à une évidence empirique. De nombreuses études démontrent une relation simple : plus les entreprises financières sont dirigées par des équipes mixtes, plus elles sont stables et performantes (Christiansen et al., 2016 ; Sahay et al., 2018). Les fonds d’investissement dirigés par des femmes sont, par exemples, plus performants. Le professeur Michel Ferrary, directeur de l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises, montre que les banques qui ont plus de 33 % de femmes au Conseil d’Administration affichent une surcote de 20% sur leur Price-earning ratio (PeR), ratio destiné à évaluer le prix d’un titre par rapport au bénéfice attendu. La surcote atteint 50% sur le ratio P/B, un ratio financier utilisé pour comparer la valeur marchande actuelle d’une entreprise à sa valeur comptable.

Les conclusions de ces recherches rendent la difficile ascension vers la mixité encore plus incompréhensible. En tant que directrice du MSc Corporate Financial Management de SKEMA Business School, les banques et les fonds d’investissement me rapportent régulièrement les difficultés qu’ils rencontrent à recruter des femmes, en particulier dans les métiers compétitifs comme ceux des fusions-acquisitions, du capital-investissement et du capital-risque. L’offre est désespérément faible.

La demande sans l’offre

Très tôt, une barrière se dresse entre les jeunes femmes et les métiers de la finance. Elle est psychologique. Bien avant le choix de leur filière d’étude ou de leur métier, les filles se détournent des matières scientifiques, voie unique des carrières en finance. Selon une étude de l‘Institut des Politiques publiques (2024), les jeunes Françaises décrochent en mathématiques dès le milieu du cours préparatoire (CP) par rapport aux garçons, et ce quelle que soit leur origine sociale.

Ce rejet précoce témoigne de l’intériorisation profonde des stéréotypes de genre. Plus tard, les jeunes filles se détourneront des filières scientifiques au lycée, puis lors des études supérieures. En France, la réforme du lycée de 2019 a même aggravé cette tendance (voir graphique) : la part des bacheliers en parcours scientifique s’effondre, notamment celle des filles. Depuis la réforme, elle est passée de 48% à 37%. Elles ne représentent ensuite que 41% des effectifs en classe préparatoire, et 29% des étudiants en écoles d’ingénieurs…

La situation en Ecole supérieure de Commerce est plus équilibrée : selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, elles représentaient 51% des effectifs en France en 2021-2022.

Mauvaise image

Mais le rejet précoce des maths n’est pas la seule explication. Au moins deux autres données entrent en jeu : le rythme effréné imposé par nombre de ces métiers, et leur mauvaise image.

Ces carrières sont élitistes, mais particulièrement exigeantes : travailler en finance, souvent, c’est ne pas compter ses heures. Il y a « un arbitrage injuste à faire entre sa carrière professionnelle et le soin de son foyer et des membres de sa famille », pointait récemment Janet Yellen, ex-gouverneure de la Réserve fédérale américaine : peur de ne pas s’y épanouir, manque de confiance, difficulté à trouver un équilibre travail-vie familiale.

Les métiers de la finance sont, en moyenne, plus rémunérateurs que les autres, mais ils sont jugés éloignés des problématiques sociales et environnementales, à une époque où beaucoup de jeunes sont en quête de sens et ressentent le besoin que leur activité professionnelle ait de l’impact sur la société : selon le Baromètre Talents 2024 de SKEMA Business School, 55% des jeunes diplômés voient comme une priorité la réduction de l’impact de sa future entreprise sur l’environnement.

L’ensemble des métiers de la finance d’entreprise sont pourtant en cours de transformation. Elle s’articule autour de la notion de « finance durable » et sera bientôt stratégique pour tous les professionnels de la finance. C’est le principal message du ClimatSup Finance du Shift Project (2022). L’analyse financière, par exemple, est amenée à devenir étroitement liée à l’analyse extra-financière : la réglementation est en passe de se renforcer sur la mesure de l’impact ESG de l’activité des entreprises. C’est un nouveau besoin, de rapports et d’analyse, qu’il va falloir combler.

Redorer le blason des mathématiques

La première urgence, c’est donc l’éducation. Il faut redorer le blason des mathématiques à l’école, éveiller la curiosité des enfants pour les matières scientifiques.

Il faut aussi lutter contre les stéréotypes de genre tout au long du parcours scolaire, professionnel et personnel des jeunes : sensibilisation dès le plus jeune âge, quotas, mentoring et refonte des rôle parentaux. Claudia Goldin, professeur à Harvard et prix Nobel d’économie 2023 pour ses travaux sur la situation des femmes sur le marché du travail, prône notamment la recherche de l’équité dans le couple. Elle assure que c’est la voie principale vers plus de mixité dans la finance.


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Il faut encore faciliter l’accès à l’information sur les multitudes de carrières possibles dans ce secteur : un financier n’est pas qu’un trader ou un banquier. Les facettes du diamant de la finance sont nombreuses. Si certains métiers sont très techniques, quantitatifs et parfois isolants, d’autres relèvent bien davantage de l’analyse et du relationnel.

Mais l’éducation passe d’abord par les professeurs : nous devons réformer les formations en finance. S’appuyer sur les rôles-modèles et susciter l’inspiration. Un simple échange peut éveiller une conscience. Un simple échange peut briser l’autocensure qu’une étudiante s’impose. Certaines institutions proposent aussi des bourses aux étudiantes les plus méritantes pour les pousser à faire un master en finance. Le contenu de ces formations est aussi à revoir : une approche plus transversale de la finance au service de la transition se fait clair. Pour s’ajuster aux besoins du marché du travail, mais surtout pour répondre aux aspirations des étudiants et des étudiantes.

Céline RenucciDirectrice du programme Master of Science Corporate Financial Management, SKEMA Business School

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