Le Green Impact Exchange (GIX) : un projet de bourse « verte » réaliste ?

Le Green Impact Exchange (GIX) : un projet de bourse « verte » réaliste ?

Et s’il existait une bourse, parallèle à celle de New-York, réservée aux entreprises engagées dans le développement durable ? Ce projet, venu des Etats-Unis, s’appelle le Green Impact Exchange (GIX). Peut-elle être une solution fiable à des investissements vraiment durables ?

Investir en bourse tout en soutenant exclusivement des entreprises réellement engagées dans une démarche écologique ? Une mission presque impossible aujourd’hui. Les ETF ESG figurent parmi les options les plus surprenantes. Egalement appelés « trackers », les ETF (pour Exchange Traded Funds) sont des fonds indiciels qui suivent fidèlement les variations d’un indice boursier, à la hausse comme à la baisse. Ces fonds d’investissement sont émis et encadrés par des sociétés de gestion agréées. Les EFT ESG (ESG, pour environnement, social, gouvernance) sont quant à eux conçus pour permettre d’investir de manière éthique et durable. Mais cette promesse n’est pas tenue : ces fonds listent fréquemment des entreprises dont les valeurs sont très éloignées de la durabilité.

De plus, les professionnels de la finance peinent à distinguer les véritables investissements durables du greenwashing, cette pratique qui consiste à communiquer de manière trompeuse sur l’écologie. Changer les vieilles habitudes et prendre le train en marche est une tâche complexe. La création d’une « Bourse Verte » – un marché exclusivement réservé aux entreprises ayant investi dès leurs débuts dans la durabilité – semble être la seule solution à ce problème. Et à notre connaissance, très peu d’études, notamment académiques, se sont penchées sur cette idée.

L’Europe, l’Europe…

Portée par une sensibilité culturelle accrue et une décennie d’initiatives réglementaires, l’Europe semble avoir une longueur d’avance sur les États-Unis en matière d’ESG. De l’autre côté de l’Atlantique, l’adoption de tels critères n’a pas suivi le même rythme : ce n’est qu’en 2024 que certaines obligations de transparence liées au climat ont été adoptées.

Face à l’urgence croissante du changement climatique, les régulateurs européens ont introduit de nouvelles exigences en matière de reporting, intégrant pour la première fois des indicateurs extra-financiers. C’est notamment le cas de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), relative à la publication d’informations en matière de durabilité, adoptée le 1er janvier 2024, qui consiste à améliorer et à harmoniser la communication des entreprises en matière d’ESG.

Mais l’approche choisie par les autorités semble engendrer des difficultés au niveau de la mise en œuvre. La directive s’appuie, en effet, sur un marché boursier déjà incertain. L’idée de recourir à ce marché en tant que levier politique pour modifier l’empreinte des entreprises paraît donc ambitieuse et difficile. Changer la nature des entreprises par le biais d’une simple réglementation, même s’il s’agit d’une loi contraignante, requiert un temps considérable.

Des obstacles durables

Dans le même temps, la réglementation européenne espère tout simplement obliger les entreprises à communiquer sur leurs impacts environnementaux, ce qui permettrait aux investisseurs de disposer de choix durables. Si une telle approche semble idéale, elle semble un peu naïve.

En dépit des efforts déployés, la multiplication des réglementations ESG au niveau européen a engendré des difficultés imprévues. Comparer les entreprises est, par exemple, devenu plus complexe. Les investisseurs ne sont pas les seuls à être confrontés à ce problème : les experts ESG le rencontrent également.

Après avoir analysé les notations ESG de sept fournisseurs distincts pour les entreprises de l’indice S&P 500 entre 2010 et 2017, les chercheurs Brandon, Krueger et Schmidt (2021) ont constaté que le taux de concordance moyen entre les deux agences de notation était inférieur à 50 %, avec un taux particulièrement faible pour la gouvernance (16 %) et plus élevé pour les facteurs environnementaux (46 %).

De plus, l’Europe impose aux entreprises de divulguer leur impact environnemental avant même qu’il puisse être mesuré de manière précise. Une telle approche est coûteuse, et tous les acteurs concernés ne disposent pas des ressources nécessaires pour produire ces indicateurs.

Ironie du sort : si certaines entreprises ont choisi de divulguer leurs données aussi ouvertement que possible, elles les manipulent parfois.

Être vert ou le paraître

Pour les acteurs économiques européens, il est aujourd’hui plus avantageux de paraître vert que de le devenir réellement. Il semble que le flot de réglementations ait, de façon inattendue, alimenté le phénomène du greenwashing.

Ces obstacles réglementaires affectent à la fois les entreprises et les institutions financières, ces dernières devant désormais jongler avec de très nombreux labels et exigences. Mais là encore, certains acteurs ont trouvé le moyen de surfer sur la vague et de tromper les investisseurs.

Pour les entreprises comme pour les institutions financières, l’évolution constante des exigences ESG finit par décourager les acteurs qui seraient prêts à adopter un comportement plus responsable. Si les réglementations étaient initialement pensées pour susciter le changement, elles sont aujourd’hui devenues des contraintes trop lourdes pour les entreprises.

Le temps et les ressources nécessaires pour répondre à toutes ces exigences les empêchent d’avancer et de bâtir une stratégie plus durable. Quant aux banques et fonds d’investissement de bonne volonté, les critères des labels sont devenus trop stricts pour leur permettre d’offrir des résultats durables à leurs clients.

Hard law vs. Common law

Il semble donc que les réglementations ESG aient manqué leur cible, ce qui ne manque pas de créer de la frustration sur les marchés. Et les chiffres sont parlants. Alors que les entreprises étaient censées mettre en œuvre la nouvelle directive CSRD d’ici 2024, une étude de Lefebvre Sarrut a révélé que 45 % des entreprises européennes n’avaient pris aucune mesure en ce sens.

Nous pouvons donc nous demander si les mesures réglementaires strictes constituent réellement la meilleure option. La préférence de l’Europe pour la « hard law », qui désigne l’approche contraignante issue du droit civil, limite sa capacité d’adaptation. Aux États-Unis, un système juridique fondé sur la « common Law » régule de manière moins contraignante, ce qui favorise l’innovation et les initiatives du secteur privé. En d’autres termes, on y privilégie plutôt une approche « souple », qui soutient l’évolution des pratiques par l’initiative plutôt que par la contrainte légale. Alors que l’approche européenne témoigne d’un engagement fort en matière de responsabilité, l’utilisation des réglementations pour résoudre les problématiques ESG semble atteindre ses limites.


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L’Europe est-elle vraiment le leader mondial en matière d’ESG ? Ce n’est pas si simple. Historiquement, les États-Unis ne furent pas particulièrement favorables à l’ESG, souvent associé au mouvement « woke ». En comparant les rapports liés au climat entre les deux marchés boursiers, il est clair que l’Amérique est à la traîne par rapport au Vieux Continent. Toutefois, en raison de son système juridique reposant sur la common law, certains régulateurs américains considèrent que leur rôle n’est pas d’interférer. Le marché boursier n’est pas un outil politique ; il doit simplement mettre à la disposition des investisseurs un environnement sûr, efficace et fiable. Si le changement doit venir des entreprises, les contraindre ne constitue pas une solution.

De leur côté, les États-Unis ont longtemps fait le choix de ne pas réguler l’ESG. Pourtant, une initiative novatrice y a récemment vu le jour. Elle semble changer la perception des entreprises face aux enjeux ESG : le Green Impact Exchange (GIX).

Le GIX, la solution américaine

Alors que l’Europe poursuit son cheminement réglementaire, cette idée pourrait ouvrir une nouvelle voie. Créé par d’anciens cadres du NYSE, le Green Impact Exchange serait la première bourse exclusivement dédiée aux entreprises engagées dans le développement durable. Prévue pour 2025, elle permettra aux sociétés d’y figurer sans perdre leur statut au NYSE ou au Nasdaq, à condition de se conformer aux « principes de gouvernance verte ». Pour les investisseurs engagés, le GIX propose un choix clair : les entreprises sont listées si elles répondent aux critères, et tout simplement exclues dans le cas contraire. Cette approche binaire facilite l’évaluation de l’ESG, limite le greenwashing et permet aux investisseurs de soutenir de véritables acteurs de l’économie verte.


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En présentant l’ESG comme une opportunité stratégique et non comme une charge réglementaire, le GIX a capté l’attention de nombreuses entreprises. Plus de 700 sociétés cotées en bourse ont été contactées afin d’évaluer leur intérêt. Les discussions menées avec des dirigeants, des directeurs financiers, des responsables de la durabilité et des relations investisseurs ont montré que certaines entreprises, issues de secteurs variés et à différents niveaux de capitalisation, cherchent à renforcer leur engagement écologique. Nombre d’entre elles se disent prêtes à envisager une double cotation sur le GIX pour concrétiser cette ambition.

Ce phénomène est particulièrement marqué chez les émetteurs à forte capitalisation, 60 % des répondants confirment cette volonté. Parmi ces 730 entreprises, 230 ont formulé un retour positif. Parmi elles, 20 ont exprimé leur intérêt à figurer dans le premier groupe de sociétés listées au GIX lors de son lancement, tandis que 35 autres souhaitent le rejoindre ultérieurement.

Un changement de leadership ?

Le GIX propose une alternative « souple » à l’approche réglementaire européenne  : une bourse privée où la durabilité et les incitations économiques sont naturellement alignées. Ce modèle, reposant sur les dynamiques du marché plutôt que sur des contraintes, crée pour les entreprises un cadre leur permettant de mettre en avant leurs engagements environnementaux tout en évitant la saturation réglementaire qui pèse actuellement en Europe.

En proposant un espace dédié aux entreprises engagées, le GIX présente une approche novatrice des enjeux ESG, favorisant la confiance et la transparence au sein même du marché. Si cette initiative aboutit et parvient à proposer une alternative séduisante aux lourdeurs d’une réglementation excessive, elle pourrait rapidement faire basculer le leadership ESG de l’Europe vers les États-Unis.

Nathan DuboisEtudiant à SKEMA Business School, MSc Financial Markets and Investments

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Dhafer SaidaneProfesseur en Finance, Centre for Global Risks, SKEMA Business School - Université Côte d'Azur, France

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