Les obligations souveraines vertes bénéficient–elles d’une prime verte ?

Les obligations souveraines vertes bénéficient–elles d’une prime verte ?
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De plus en plus d’États émettent des obligations vertes pour financer leurs projets environnementaux, contribuant ainsi au développement du marché des obligations vertes. En zone euro, ce billet montre que le prix de marché de ces titres est supérieur à celui des titres conventionnels équivalents, et s’interroge sur les facteurs soutenant cette prime verte. 

Graphique 1 : Prime verte moyenne pondérée sur les titres souverains de la zone euro

États, moteurs dans le développement du marché obligataire vert

Les obligations vertes sont des titres permettant de lever des fonds destinés à financer des projets présentant un bénéfice environnemental explicite. Ces instruments fournissent aux États une source de financement stable pour ses objectifs environnementaux, comme l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 pour l’Union européenne. 

Au niveau mondial, la forte croissance du marché obligataire vert (Descombes et al., 2022), notamment du segment souverain, atteste de l’intérêt des émetteurs comme des investisseurs pour ce type d’instruments. La demande pour ces titres serait telle qu’ils s’échangeraient sur le marché secondaire à un prix supérieur aux autres titres semblables mais sans label vert. Cet écart de prix est appelé la prime verte. Mais est-ce la bonne explication dans le cas des obligations souveraines vertes de la zone euro ? 

Ce travail sur les obligations vertes souveraines accompagne la publication de deux autres billets qui analysent cette prime sur le marché des obligations vertes d’entreprises d’une part (Chouard et Jourde, 2024), les obligations conventionnelles émises par des entreprises vertes d’autre part (Clémentin et Serge, 2024). 

Une prime sur les obligations souveraines vertes de la zone euro subsiste malgré une offre en hausse 

La prime verte est étudiée dans ce billet sur les obligations vertes émises par les États membres de la zone euro depuis la première émission de ce type par la France en 2017, soit 21 obligations vertes, pour un encours total de 214 mds€, émises par l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Irlande et les Pays-Bas. La maturité à l’émission de ces obligations est comprise entre 5 ans et 29 ans. Nous comparons la valorisation de chaque obligation souveraine verte (le « zero volatility spread ») avec celle des titres de dette conventionnels émis par le même émetteur et arrivant à maturité sur la même période : avec cette mesure, si l’obligation bénéficie d’une valorisation plus élevée, cela se traduit par un bonus vert. Plus les obligations vertes bénéficient d’un taux d’intérêt bas par rapport à ses pairs conventionnels, plus leur prime verte est importante La période d’observation retenue est réduite de janvier 2021 à mi-janvier 2024 (années avec des volumes d’émission significativement plus élevés qu’auparavant). Sur cette période, une prime verte moyenne de -2,8 points de base (bps) est mesurée (Graphique 1). Contrairement aux obligations d’entreprise (Chouard et Jourde, 2024), les obligations souveraines continuent ainsi de bénéficier d’un bonus vert même sur la période récente. 

Quel que soit l’émetteur, une explication généralement avancée pour justifier l’existence de cette prime est la relative rareté des obligations vertes, concordant avec l’enquête menée par la Climate Bonds Initiative (Climate Bonds Green Bond European Investor Survey, 2019), selon laquelle les investisseurs en obligations vertes souhaiteraient davantage d’offres vertes de la part des émetteurs. Pour les obligations souveraines, les émissions vertes restent limitées au regard des émissions totales, et ce malgré leur forte croissance depuis 2016 (Graphique 2). Si cette croissance a été particulièrement marquée de la part des émetteurs souverains de la zone euro et de l’Union Européenne, rapportée au volume d’émissions total, leur part reste réduite (5% des émissions de 2023 en zone euro), avec des disparités entre pays (6% pour l’Allemagne, 4% pour l’Italie et 3% pour la France). Il subsisterait donc un déséquilibre offre-demande pouvant expliquer le maintien de la prime verte sur les obligations vertes souveraines.

Graphique 2 : Volumes d’obligations souveraines vertes émises depuis la première en 2016 au niveau mondial

Les explications usuelles des primes vertes insuffisantes dans le cas des émissions souveraines

En 2023, les titres verts français ont bénéficié d’une prime verte moyenne pondérée de – 1,8 bps, les titres allemands d’une prime verte moyenne de – 3,1 bps et les titres italiens de – 5,2 bps, ce qui conduit à des écarts de primes qui ne correspondent pas à la « rareté » relative des émissions de titres verts dans chaque pays observée ci-dessus.

Pour les obligations d’entreprises, d’autres déterminants ont été mis en avant par la littérature, mais restent insuffisants pour expliquer cet écart entre pays de la zone euro s’agissant des obligations souveraines :  

  • pas « d’effet pays » : malgré les différences observées, statistiquement l’émetteur ne ressort pas comme étant un facteur explicatif significatif pour la prime verte souveraine dans notre échantillon. Une explication possible serait que tous les émetteurs souverains verts considérés dans ce billet ont établi un cadre conforme au cadre développé par l’International Capital Market Association (les Principes applicables aux Obligations Vertes), confirmant le rôle clé joué par les États dans la promotion de normes pour la classification des obligations vertes et leur vérification (Cheng et al. 2022). En cela, la prime verte souveraine diffère de celle des entreprises, dans laquelle la crédibilité de l’émetteur est un facteur explicatif (Chouard et Jourde, 2024) ;  
     
  • absence d’impact de la notation de crédit des États sur la prime verte souveraine. L’écart de prime verte, par ordre d’importance décroissante entre l’Italie, l’Allemagne et la France illustre que la notation de crédit de ces pays (par ordre de qualité décroissante : Allemagne, France et Italie) ne jouerait aucun rôle dans la détermination de la prime verte souveraine tandis que ce critère joue un rôle important pour la prime verte des émetteurs privés (Clémentin et Serge, 2024). 

Des facteurs propres à chaque émission pour expliquer les primes vertes souveraines 

Le cas allemand pourrait résulter de la petite taille des émissions des obligations vertes par rapport aux obligations traditionnelles sur le marché allemand. Le gestionnaire de la dette fédérale allemande émet ses obligations vertes dans un cadre très contraint « d’obligations jumelles » : l’obligation verte est émise quelques jours après une obligation conventionnelle, semblable en tout point à cette dernière (coupon, date de maturité) à l’exception du caractère vert des projets financés et du volume plus faible émis. Dans ce cas, la prime verte est en partie attribuable à l’écart notable entre les encours totaux des obligations vertes et les encours totaux des obligations « jumelles » (taille moyenne des obligations : 9 mds€ pour un Bund vert contre 33 mds€ pour un Bund jumeau). 


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Dans le cas de la France, on observe aussi que l’OAT verte 2044 ne bénéficie pas de prime verte significative en 2023 alors que l’OAT verte 2039 a en moyenne une prime de -3,1 bps. Cette observation suggère que des facteurs idiosyncratiques joueraient un rôle important dans l’évolution de cette prime souveraine. Un même émetteur peut ainsi bénéficier d’une prime verte sur certains titres verts et pas sur d’autres, alors qu’il y a le même niveau de crédibilité sur ses engagements environnementaux et le même ratio obligations vertes sur obligations totales. Les montants levés, la liquidité du titre, la maturité résiduelle et la base investisseur semblent pouvoir figurer parmi ces facteurs idiosyncratiques. Ainsi, la prime verte est plus marquée sur les titres courts : les titres arrivant à échéance dans 5 ans ou moins bénéficient d’une prime plus importante que les obligations arrivant à maturité plus tardivement (-7 bps vs. -1.5 à -3 bps sur les paniers de maturités supérieure).

Néanmoins, dans notre étude, chaque panier de maturité résiduelle est petit (3 à 5 titres), avec des primes très variables d’un titre à l’autre : il est difficile d’en déduire un lien de causalité fort à ce stade. Le marché des obligations souveraines verte est en pleine expansion et les études ultérieures bénéficieront de davantage de titres sur une profondeur historique élargie, pour mieux comprendre les déterminants de l’écart de prime entre les pays de la zone euro.

Cet article a initialement été publié par la Banque de France. Lire l’article original.

Urszula SzczerbowiczProfesseur associé d'économie à SKEMA Business School

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Tamaki DescombesChef de l'équipe d'analyse des marchés financiers à la Banque de France

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