La crise va-t-elle faire émerger de nouvelles formes d’organisation du travail, voire de nouveaux collaborateurs et de nouveaux leaders ? Le futur du travail sera-t-il hybride, et le leadership multimodal ?
La phase d’apprentissage est une étape essentielle et cruciale dans le processus de management de crise et dans la survie des organisations. Malgré l’incertitude liée au contexte actuel de crise sanitaire, il est légitime et nécessaire de se projeter dans l’après-crise : quel design organisationnel, quelle organisation du travail, quels usages et pratiques développer et/ou pérenniser ?
Si les organisations se sont adaptées et organisées dans l’urgence pour répondre à la crise, notamment via le déploiement du remote work/home office, la digitalisation du recrutement et de l’onboarding, le développement et l’animation de communautés virtuelles d’apprentissage, il n’est pas certain que toutes maintiennent ces modes d’organisation et de coordination une fois la crise passée. En effet, la tentation est grande de revenir au statu quo d’avant crise, tant pour des raisons business (processus et activités nécessitant une présence sur site) que pour des raisons idéologiques et culturelles (pouvoir et contrôle/confiance). Si cette tentation est grande, le risque l’est tout aussi : celui de ne pas tenir compte de changements sociétaux profonds, notamment dans la relation au travail et la structuration de celui-ci (questionnements sur le sens du travail, work life balance, bien-être au travail et risques psychosociaux…) qui modifient les rapports entre organisations et individus.
« Hybrider » le travail ?
Trouver l’équilibre optimal entre travail sur site et travail à distance – chez soi ou ailleurs – est un réel challenge, tant pour les organisations que pour les collaborateurs. Sur le modèle hybride du travail, vous pouvez notamment consulter les recherches récentes de Gratton (2020) publiées dans la MIT SMR, et de Fayard, Weeks et Khan (2021) publiées dans la HBR.
Au-delà des classiques avantages/inconvénients du modèle, il est intéressant de lire dans ces travaux comment les notions d’espace (présentiel/distanciel) et de temps (synchrone/asynchrone) sont modifiées par l’hybridation et amènent logiquement vers des évolutions des modalités de coordination (et des tensions entre autonomie et contrôle), de collaboration et de socialisation. Lorsque l’on sait l’importance des échanges de proximité et des interactions en face-à-face dans le développement et le maintien de l’engagement et de la coopération entre collaborateurs, on comprend rapidement qu’il n’est en effet pas aisé de construire des contextes favorables à la productivité dans un cadre hybride. D’où l’importance de l’expérimentation, notamment en cette période de sortie de crise et de retour des collaborateurs sur leurs lieux de travail, pour tester et expérimenter ces équilibres espace/temps – que faire à distance et quand ? Que faire en présentiel et quand ? Quelle coordination pour quelle modalité ? Quels enjeux pour la santé, quid des risques psycho-sociaux et du bien-être au travail ? etc.
La tendance du flex office
Pour davantage de développements sur cette question de l’avenir du travail, et notamment ce passage « from remote to hybrid », vous pouvez consulter les rapports BCG et Capgemini Research Institute. Dans ce travail de design organisationnel pour rendre les organisations flexibles et agiles, et où l’alignement – consistance et cohérence des composantes internes de l’organisation – est la clef plutôt que les modes et tendances mimétiques, il faut constamment faire attention à l’approche globale : adéquation culture/structure/organisation du travail/individus.
La tendance actuelle du flex office ou bureau flexible est là aussi très intéressante à analyser. Selon des enquêtes récentes (voir par exemple le sondage Deskeo de mars 2021), 55% des entreprises françaises envisagent de le mettre en place. Si l’on peut comprendre sa logique – optimiser un espace de travail jugé trop coûteux et favoriser la socialisation et la collaboration – sa mise en place n’est pas du tout aisée, et peut créer des dommages collatéraux aussi bien sur les collaborateurs que sur leur performance. Nous vous recommandons la lecture des travaux de Delphine Minchella sur le flex office et ses enjeux ainsi que les récents posts de blogs (Parlons RH et WTTJ) pour constater les risques de désengagement liés à cette organisation. La preuve que l’espace joue un rôle crucial dans les processus d’identification, d’appartenance et d’appropriation/assimilation des valeurs organisationnelles.
Nouvelle posture managériale
Il est également intéressant d’interroger la posture managériale pendant et post crise. Plusieurs managers se sont en effet retrouvés démunis et/ou en perte de sens pendant cette crise sanitaire et ont dû se réinventer : accepter l’incertitude, gérer la distance, accepter l’autonomie et mieux doser le contrôle, communiquer autrement, etc. Certains ont d’ailleurs eux-mêmes vécu ces challenges dans leur relation avec leur hiérarchie, quand d’autres ont subi une dégradation de leur qualité de vie au travail – conflits de rôles, work/life balance, isolement – comme le montrent les enquêtes sur l’hybridation et l’épuisement des managers. Cette évolution questionne le rôle du management et les compétences qui lui sont associées.
S’il apparaît pour tous que la maitrise des outils et des usages est désormais indispensable, la capacité à gérer l’incertitude et à s’adapter à un environnement sans cesse changeant ainsi que l’aptitude à développer et à maintenir des relations étroites avec et entre les collaborateurs deviennent centrales. Nous vous recommandons tout particulièrement la récente recherche de Hooijberg et Watkins intitulée The future of team leadership is multimodal pour une présentation détaillée et structurée des enjeux de collaboration et d’innovation au sein des équipes hybrides, ainsi que pour un début de conceptualisation du leadership multimodal, avec des rôles différents selon les contextes (présentiel/distanciel, proximité faible/élevée, collaboration faible/élevée, échelle individuelle/groupe etc.).
Et demain ?
L’hybridation du travail est-elle là pour durer ? Les tendances actuelles semblent le montrer, même si cela reste à confirmer. Toujours dans la logique d’apprentissage post-crise, certaines organisations tenteront de retourner au statu quo d’avant crise, d’autres pérenniseront et/ou suivront les tendances d’hybridation et de flex office. Il est important de rappeler que, parmi les organisations qui ont le mieux réussi à surmonter les conséquences de la crise sanitaire, on retrouve celles qui ont initié ces réflexions et ces transformations avant la crise. Ces organisations ont en effet pensé leur design organisationnel de façon à améliorer leur agilité face à l’incertitude (technologique, notamment) et face aux tendances sociales et sociétales (évolution des attentes de la workforce…). Elles ont initié des changements profonds de structure organisationnelle et d’organisation du travail, tout en veillant à faire évoluer leur culture organisationnelle et à accompagner leurs collaborateurs dans ce processus long et risqué, notamment sur les dimensions qualité de vie au travail et work/life balance.
La réussite des modèles hybrides dépasse le simple cadre des outils/pratiques et usages : elle questionne fondamentalement les dimensions idéologiques et culturelles des organisations. A ces dernières de veiller à ce qu’elles ne soient pas négligées, surtout en période de sortie de crise.
Cet article a été initialement publié sur FOCUS RH.